Par FRANTZ DELICECorrespondant de CSMS MagazinePort-au-Prince—« La domination masculine dans les matériels didactiques au préscolaire haïtien, » tel est le titre d’un rapport de recherche présenté le mercredi 12 décembre 2007 à la Faculté des Sciences Humaines par la chercheure en sociologie Kénise Phanord. Cette dernière a fait une étude portant sur des manuels didactiques utilisés actuellement au préscolaire. Elle s’est donnée pour tache de traquer l’arbitraire dans le système éducatif haïtien. La domination masculine, résultant du système patriarcal actuel, est débusquée dans cette recherche. Le rapport de recherche débute avec une vue d’ensemble de la situation des femmes dans la société haïtienne. Dans cette partie, la sociologue fait le constat de la domination masculine dans le secteur socio-économique. Ce secteur est marqué par le très grand apport des femmes ; mais dans le fond leur situation reste précaire. Citant Mireille Neptune Anglade en ce qui concerne le contrat des sexes, la sociologue montre que malgré l’évolution de la condition des femmes dans le temps rien n’a vraiment changé; la journée de travail de la femme est toujours dévalorisée et son influence en grande partie est circonscrite au sphère familial. Elle revisite l’initiative des féministes des années cinquante (50) qui voulaient permettre aux femmes de sortir de la domination par le biais de l’éducation. De nos jours, les filles ont accès au préscolaire et parfois dépasse le nombre de garçons. Mais la situation devient alarmante quand elles atteignent le secondaire et l’université; il y a une régression systématique. Elles ne sont que 30 % à l’université contre 48% qui ont été recensées en primaire selon certaines recherches. Les dernières statistiques de l’Institut national de Statistique viennent corroborer ces chiffres, il y a une réduction systématique des filles et jeunes femmes dans le système scolaire. L’ouverture du système éducatif aux filles n’apporte pas la solution au problème de la domination masculine. Au contraire, la domination se porte bien dans ce secteur. L’école haïtienne n’est pas actuellement un élément émancipateur pour les femmes. La sociologue Phanord pour étudier le problème, s’est donnée comme objectif de rechercher les traces de la domination masculine dans les livres didactiques au préscolaire. Elle affirme « l’apprentissage de l’inégalité entre les deux sexes débute dès les premières relations entre l’adulte et l’enfant à l’intérieur de l’école et au niveau du contenu des matériels didactique »’. Elle a voulu démontrer comment les espaces sont liés au sexe des différentes personnes concernées dans les documents didactiques. Les livres utilisés construisent aussi deux sortes d’habitus (dispositions) masculin et féminin. Dans les conclusions de la recherche, la sociologue montre que dans les livres au préscolaire, les hommes affichent des vertus positives, soit 91,48%. Les femmes les rejoignent au niveau du courage. Niveau Intelligence, elles représentent que 33% ; est-ce que les femmes sont moins intelligentes que les hommes ? C’est cela que semble montrer les livres au préscolaire haïtien. La recherche montre que les femmes dépassent les hommes dans l’apparence physique et vestimentaire, à plus de 80%, et aussi pour les vertus négatives de plus de 20%. Au niveau de l’espace et des activités, le même constat se fait sentir, les femmes sont sous-représentées. Elles dominent l’espace privé, soit 60.94% contre 39.05% pour les hommes. Dans les manuels au préscolaire, les femmes s’occupent des activités journalières de reproduction sociale, telles que cuisiner, laver, décorer la maison etc. Dans les livres comme dans la réalité, les hommes cuisinent très rarement soit 8.82% Les hommes dans le sphère privé, devancent les femmes au repos ou à l’inactivité. L’espace domestique est représenté comme un espace de sécurité pour les femmes. Dans le sphère public, la situation s’inverse, les hommes sont majoritaires, à 69.22%. La recherche montre que l’espace éducatif dans les livres est dominé par les hommes. Les hommes sont les seuls à conseiller, à corriger, à démontrer des connaissances. La situation ne s’améliore pas au niveau ludique (jeux), la présence des hommes dépasse de trois fois la présence des femmes. Que peut-on dire ? Les femmes ne savent pas s’amuser ? Une chose est à remarquer dans cette partie de la recherche, au niveau des sports violents, les hommes sont présents en grand nombre. Dire que des organismes de la société civile et de l’Etat, combattent la violence, spécialement celle faite aux femmes, et voilà que cette violence est inculquée aux jeunes enfants dans les manuels au préscolaire. Il n’y a pas de changement significatif dans les manuels quant aux sphères du transport, des techniques–technologies. Les hommes continuent de dominer dans l’espace professionnel et des activités rémunératrices, à hauteur de 61.53%. La sociologue Phanord démontre aussi que les personnages principaux féminins des histoires racontées dans les livres, sont passifs, et accomplissent des actions répréhensibles. L’analyse du para texte, c’est-à-dire la présentation de ces manuels, indique que les auteurs sont majoritairement féminins et l’illustration des textes est du ressort des hommes. Selon la sociologue, la présentation des livres dessine une vision du monde en défaveur du sexe féminin. Et plus loin elle dénonce l’intériorisation des valeurs traditionnelles par les femmes écrivaines et graphistes ; « ces femmes servent de courroies de transmission de ces représentations qui vont très souvent en leur défaveur », ajoute-t-elle. Il est à remarquer que ce travail s’insère dans le cadre d’une lignée de recherche scientifique sur la condition de la femme en Haïti, surtout dans le secteur éducatif. Madame Myrtho Célestin Saurel a publié en mars 2000 les fruits de sa recherche sur les stéréotypes sexuels dans les manuels scolaires. Elle a porté son analyse sur les livres utilisés dans l’école fondamentale. L’une des mérites de la recherche de la sociologue Phanord est de continuer cette investigation et l’adapter au préscolaire. Combattre la violence faite aux femmes et l’inégalité ambiante passe par une nouvelle forme de socialisation. Et cette nouvelle forme de socialisation demande un nouveau système éducatif et des manuels exempts de toute forme de stéréotypes et d’inégalité. Il est grand temps d’agir car nous avons besoin de livres qui véhiculent des idéaux égalitaires et de nouvelles façons de pensée et d’être.Voir aussi Responsabiliser les pères en Haïti ? AGNIECE FRANCOIS : Une femme, une plume au service des nouveaux talents!Rénette DESIR : Une voix de femme sur le chemin de la gloireNote : Frantz DELICE est notre nouveau correspondant en Haiti. Il est écrivain et il vit à Port-au-Prince. Vous pouvez lui contacter à frantzdelice@yahoo.fr