Les dernières manœuvres du président Préval renforcent l’opinion de ceux qui pensent qu’il n’a exclu aucun scénario pour contrôler les élections de 2010. Après avoir joué au débonnaire dans la première partie de son mandat, il met maintenant les bouchées doubles pour sécuriser son pouvoir personnel. Anticipant sur les manœuvres des diplomates et autres agents de la communauté internationale en mission pour le garder en cage, il s’est débarrassé de Michèle Pierre-Louis perçue comme trop distante par rapport à ses propres ambitions de tenir la barre pour passer le cap des élections présidentielles de Novembre 2010. Le président Préval ne voit pas d’un bon œil l’arrivée de la machinerie lourde de Bill Clinton qui risque de faire de l’ombrage à sa propre stratégie du apré nou sé nou.
Ayant compris que la communauté internationale ferme volontairement les yeux sur les actions de son gouvernement qui ne dérangent pas fondamentalement les intérêts de l’empire, le président Préval sait qu’il peut commettre des exactions à partir de cette situation de relative conciliation. Il y va même un peu fort se disant « Advienne que pourra » selon cette célèbre formule de Kant. Se préoccupant peu de la bassesse de son propre discours, il déclare à qui veut l’entendre que ceux qui veulent être sauvés doivent le suivre. Tant pis pour les autres. Avec ces mots prononcés au ranch de la Croix-des-Bouquets, les choses sont désormais on ne peut plus claires.
Prendre le taureau par les cornes
Le pouvoir exécutif en place est connu pour son cynisme qui dépasse les bornes. N’ayant pas digéré la destitution par le Sénat de son premier ministre Jacques Édouard Alexis au cours d’émeutes téléguidées en Avril 2008, il remet le coup en faisant destituer Michèle Pierre-Louis en Octobre 2009 par un nouveau Sénat dont la majorité est acquise à son bon vouloir. Ultime manœuvre de son groupement politique pour créer une fausse opposition à son gouvernement ou encore paranoïa d’un homme politique aux abois, le résultat est le même. Le président Préval crée des eaux troubles pour mieux pouvoir nager. Cette opération de saccage de Michèle Pierre-Louis constitue une démonstration grandeur nature de « l’identité archaïsante dévoreuse de soi-même » dont parlait Aimé Césaire. [1] Préval a dévoré Michèle à belles dents. Si la faim obligera certains Haïtiens à accepter la main que Préval s’apprête à leur tendre, ce sera beaucoup plus difficile pour les investisseurs internationaux à la Soros et à la Clinton qui essuient encore le camouflet sonore qui leur a été administré en plein visage.
Le président Préval a longtemps louvoyé et tergiversé en laissant croire qu’il est un démocrate. Mais puisque le temps presse, il a décidé de prendre le taureau par les cornes et de changer les règles du jeu. Il est dans l’air du temps. N’a-t-on pas vu, l’an dernier, le gouvernement fédéral américain changer les règles de la comptabilité pour permettre à des firmes de continuer à afficher un profit alors qu’elles sont en faillite. Quand la réalité n’est pas conforme aux règles, on change les règles. C’est ce que les régulateurs fédéraux du secteur bancaire américain ont encore fait en publiant le samedi 31 octobre 2009 de nouvelles directives permettant aux banques de mentionner des crédits au bilan comme « performants » même lorsque la valeur des propriétés sous-jacentes est inférieure au montant du prêt. [2]
Tout comme dans l’économie zombie où 2 + 2 ne font plus 4, mais plutôt ce que décident les tenants du pouvoir, le président Préval se donne des libertés sur le terrain politique. En cours de match, il change les règles. Au lieu de demander aux Secteurs identifiés dans la Constitution de 1987 de lui présenter un nom pour le CEP, il leur dit de lui donner deux noms. Il substitue au secteur populaire le secteur vodouisant. Il remplace la Convention des Partis politiques par la Fédération Nationale des CASECs d’Haïti (Fenacah). Il nomme qui il veut au Conseil Electoral Provisoire (CEP) et détermine à sa convenance la date des élections. Les techniques et pratiques de corruption ont atteint un degré supérieur de sophistication. La honte n’existe plus. L’État corrupteur s’y prend tellement bien que ce qui devait indigner et révolter la population apparait aux yeux de tous comme un fait divers.
Les convives ne doivent pas partir avec les couverts
Pour le président Préval, la politique se circonscrit au calcul et à la ruse. Rien de plus. Surtout pas d’angélisme et de bons sentiments. Ayant toujours un coup d’avance sur ses adversaires empêtrés dans des rivalités, divergences et ambitions égoïstes, le président Préval manie avec maestria la politique politicienne. Il n’est pas Napoléon mais il a certainement appris de celui-ci que l’effet de surprise est la donne fondamentale dans l’art de la guerre. Préval surprend en soutenant les patrons de la sous-traitance contre le salaire minimum des 200 gourdes. Contre les naïfs qui ne le croient pas capables d’oser organiser des élections bidon telles que celles d’Avril et de Juin 2009, il sévit sans état d’âme. N’ayant pas à gérer des querelles byzantines dans son propre camp, il fonce tête baissée dans la révision de la Constitution quelques jours avant la fin de la législature. Il gagne la première manche.
Assuré du soutien logistique et militaire des troupes armées de la MINUSTAH, le président Préval met en place les pièces du dispositif pour conserver le pouvoir. Dans ce parcours, il s’est bien pris pour rester près des réalités et des circonstances. Dès le début, il avait invité au festin du pouvoir des convives tout en les surveillant afin qu’ils ne puissent partir avec les couverts. Ce qui a été fait. Il a pu ainsi ramener dans son giron Paul Denis de l’OPL. En nommant Jean-Max Bellerive, représentant officiel de Lavalas, comme premier ministre, il reprend langue avec les amis de la première heure qui étaient déçus ou mécontents. Il s’est déjà rallié d’autres compagnons de route des premiers jours de ce courant politique dont Yves Cristallin. Le président Préval convie sous son manteau toutes les brebis égarées. Reprenant l’Evangile de Saint Jean, il dit sans ambages qu’il y a plusieurs demeures dans sa maison. Ce n’est un secret pour personne qu’il veut ratisser large dans ce pari pour le pouvoir en novembre 2010. Dans tout juste un an. Des duvaliéristes de poids dont Jean-Robert Estimé et Fritz Cinéas sont à ses côtés. Il n’est pas insensible aux retrouvailles avec des chefs de gangs qui, s’ils ne sont pas encombrants comme Amaral Duclona l’est devenu, peuvent lui donner la force de persuasion pour rester au cœur du jeu politique. Il n’a pas oublié que les gangsters avaient roulé pour sa réélection en 2006 en organisant la fameuse baignade dans la piscine de l’hôtel Montana. Donc vaut mieux les avoir avec que contre soi.
En contrôlant le Sénat avec des élections frauduleuses de Juin 2009, le président Préval verrouille toutes les issues pour une solution pacifique à la crise qui mine Haïti. Prépare-t-il d’autres élections frauduleuses pour contrôler la Chambre des Députés afin d’empêcher que le parlement s’érige en haute cour de justice pour le juger ? En insistant pour garder les troupes de la MINUSTAH, il montre le bout de l’oreille. La manigance servirait à l’intronisation d’un dauphin qui plairait à l’ONU. En échange de ses bons procédés, le président Préval obtiendrait le poste de 1er ministre dans le gouvernement de son successeur. Certains prétendent que ce coup fourré pourrait avoir lieu avec un pouvoir dirigé par Jacques Edouard Alexis et même avec Michèle Pierre-Louis. Dans tous les cas de figure, la stratégie de Préval est donc de neutraliser les bases de Lavalasse en donnant quelques biscuits aux dirigeants de ce courant tout en s’assurant que le prochain président « élu » lui donnera la latitude de pouvoir couler son bweson et jouir de son argent en paix. Mais ce faisant le président Préval n’ouvre-t-il pas la porte pour un lévé kanpé national ? Aucune crainte de ce côté-là. En s’appuyant sur les soldats de la MINUSTAH comme son ultime force de frappe, le président Préval est-il prêt à enjamber des cadavres pour se maintenir au pouvoir ? Avec les troupes onusiennes à son actif, Préval a pris une longueur d’avance sur ses adversaires politiques. Pour combien de temps ?
Corrompre la conscience des citoyens
Le président René Préval mise sur le fait que les multiples candidats de l’opposition ne pourront jamais se fédérer à partir d’une grande conférence politique de réconciliation pour opérer sa propre refondation. Il faudrait au moins six mois pour atteindre ce noble objectif permettant aux personnalités et aux formations politiques alliées de trouver un candidat unique pour s’opposer à lui ou au candidat de son choix. Il mise sur le fait qu’il y aura toujours des voix discordantes pour faire, objectivement, son jeu. Ces voix, mêmes marginales, pourront toujours dévier le cours de l’histoire et empêcher qu’un candidat unique émerge pour être celui ou celle des femmes, des paysans et de la jeunesse.
Cette situation de discorde ne concerne pas seulement les candidats d’envergure. Le pouvoir politique utilise la moindre ressource publique pour corrompre les citoyens et empêcher qu’ils agissent selon leur conscience. Le moindre fonctionnaire est l’objet de chantages et autres pressions pour qu’il fasse allégeance au gouvernement Préval afin de pouvoir garder son emploi. Le gouvernement ne néglige rien y compris le terrorisme pour éliminer les opposants. C’est le cas avec l’attentat perpétré contre le juge Heidi Fortuné au Cap-Haitien dans la soirée du 3 au 4 novembre 2009. S’il faut reconnaître le droit qu’a chaque citoyen de vouloir servir son pays en acceptant un poste dans la fonction publique, bien des individus vendent leur âme et achètent leur billet, un aller simple pour rejoindre le nouveau parti concocté par le président Préval pour les besoins de sa cause. Les services d’espionnage du gouvernement ne sont pas moins inactifs pour rajouter des couches dans les querelles des secteurs de l’opposition qui ne roulent pas pour Préval. Ces services secrets tablent sur la division qui semble être la marque de fabrique d’une opposition qui se trompe souvent de combat. Ses sempiternelles chamailleries sur des questions secondaires semblent indiquer que les agents du pouvoir ont pu bien s’y prendre pour inoculer dans ses rangs le virus de la division.
[1] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Editions Présence Africaine, Paris, 2004.
[2] Lingling Wei, “Banks Get New Rules on Property”, Wall Street Journal, October 31, 2009.
Note: Cet article a été publié pour la première fois sur AlterPresse le 6 novembre 2009.