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Friday, March 29, 2024

Des préparatifs d’attentat terroriste sous les yeux de la police

Par Ulrich RippertLes reportages sur l’arrestation, la semaine dernière dans une petite bourgade du sud-ouest de la Rhénanie-Westphalie, de trois hommes suspectés de terrorisme soulèvent bien des questions.

 Tous les journaux publièrent la nouvelle avec des manchettes à sensation, les chaînes de télévision et de radio firent des éditions spéciales. On avait empêché un « attentat épouvantable » qui aurait pu faire « un nombre immense de morts » (Spiegel-Online), qui aurait introduit « en Allemagne une dimension du terrorisme encore inconnue jusque-là » (Frankfurter Allgemeine Zeitung) et qui avait été empêché « à la dernière minute » (Lausitzer Rundschau) grâce à l’intervention courageuse des forces de sécurité. Les lecteurs apprenaient dans le même temps que les trois suspects étaient, depuis six mois, surveillés vingt-quatre heures sur vingt-quatre par trois cents policiers. La mobilisation policière pour cette surveillance avait été si importante et si voyante dans la commune d’Oberschledorn (900 âmes) que les habitants s’étonnaient depuis des semaines de voir des camions de livraison banalisés y stationner, des jeunes gens vivant dans des caravanes à l’aspect inaccoutumé entrer et sortir d’une entreprise agricole inusitée. Un correspondant de la  Süddeutsche Zeitung rapporte que le maire du bourg qui se faisait du souci depuis un certain temps, était allé, lundi dernier, voir la police locale à ce sujet : « Là, on lui dit qu’il s’agissait de la numérisation de la radio de la police ». On ne connait jusqu’à présent que l’information communiquée par le procureur de la république, Monika Harms, et le Chef du BKA (Bundeskriminalamt, Police criminelle fédérale) Jörg Ziercke lors d’une conférence de presse. Les reportages publiés par la presse s’appuient presque exclusivement sur la version des événements mise en avant par les instances dirigeantes des organes de sécurité.Des informations fournies à cette conférence de presse il ressort que : la police a, dans des circonstances spectaculaires, arrêté mardi dans une forêt du Sauerland (au sud de la région de la Ruhr), trois hommes suspectés de terrorisme, deux Allemands convertis à l’islam âgés de 21 et 28 ans et un Turc de 28 ans. Le juge d’instruction auprès du Tribunal fédéral a ordonné l’incarcération des trois hommes le jour suivant. Ils sont accusés d’avoir préparé des « attentats massifs à la bombe » destinés à causer un maximum de victimes. Un des suspects tenta d’échapper à l’arrestation en prenant la fuite. Selon les informations données par le BKA il arracha son arme de service à un policier ; le policier fut blessé par un coup de feu tandis que le fuyard subit une blessure à la tête et fut désarmé. Quarante et un locaux furent ensuite perquisitionnés. En tout, dix personnes furent mises en examen dont trois se trouveraient à l’étranger.Les hommes arrêtés seraient membres d’une cellule d’un réseau terroriste international, l’Union du djihad islamique. L’« Union du djihad » est, selon le procureur Harms, sortie du Mouvement islamiste d’Ouzbékistan (MIU) qui avait revendiqué les attentats suicide ayant eu lieu en 2004 à Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan. Il serait surtout actif en Asie centrale et disposerait d’une forte base au Pakistan.Pendant l’hiver 2006, une cellule allemande de ce mouvement aurait été créée dans le but de recruter des membres en Allemagne et d’y préparer des attentats. Tous les trois hommes arrêtés avaient, selon les enquêteurs, des relations avec le Pakistan, et au moins l’un d’entre eux aurait séjourné plusieurs mois dans un camp d’entraînement terroriste.Ce groupe avait déjà attiré l’attention le jour de la Saint-Sylvestre 2006 lorsque Fritz Gelowicz, vivant à Ulm, avait fait à plusieurs reprises le tour d’une caserne américaine à Hanau au volant d’une voiture et s’était ainsi fait remarquer. Les enquêteurs y avaient vu « la sélection d’une cible potentielle en vue d’un attentat » et avait intensifié leur surveillance. Au mois de mars de cette année le procureur général de la république ouvrit une enquête officielle. Depuis, les enquêteurs sont informés dans le détail de toutes les démarches et de tous les rapports entretenus par le groupe. Ils observèrent comment les suspects se procurèrent douze barils de peroxyde d’hydrogène grâce auxquels ils voulaient fabriquer un explosif. Selon les informations du BKA on aurait pu, avec cela, produire une force explosive très élevée, équivalant à 550 kilos de TNT. La force explosive aurait alors été supérieure à celle des bombes utilisées dans les attentats de Madrid et Londres, dit le président du BKA, Jörg Ziercke.La police aurait réussi grâce à une « opération risquée » à éliminer ce risque gigantesque pour la population, souligna Ziercke. La police aurait pu, sans se faire remarquer, accéder au garage où les barriques étaient entreposées et aurait échangé le liquide hautement explosif contre un liquide moins concentré et partant, moins dangereux.Certains articles de presse estiment que l’intervention contre l’Union du Djihad est « la plus forte intervention policière depuis l’enlèvement de Schleyer il y a trente ans ». En plus des trois cents policiers chargés de surveiller les suspects 24 heures sur 24 depuis des mois, trois cents policiers avaient aussi participé à l’arrestation.Nous ne savons pas jusqu’à présent si, outre cette surveillance longue et intensive, on s’est aussi au cours de cette opération servi d’enquêteurs camouflés du BKA. Il est par conséquent trop tôt pour émettre un jugement sur le complot présumé. Il serait erroné de conclure à l’absence d’un danger sérieux et que toute l’affaire n’était guère plus qu’une histoire concoctée par les services de sécurité.Il faut cependant, au vu des faits connus jusque-là, constater que ces « préparatifs d’attentat terroriste le plus grave à ce jour » (Monika Harms) se sont déroulés pendant des mois littéralement sous les yeux de la police et des organes de sécurité les plus importants du pays.La question se pose de savoir pourquoi les services de sécurité n’ont pas mis un terme plus tôt à ces activités criminelles. C’est quand même la tâche de la police d’empêcher que des crimes ne soient commis et de ne pas les laisser se développer jusqu’à ce qu’ils représentent un danger aigu pour la population.Pourquoi maintenant ? Pourquoi est-ce qu’on a révélé précisément à ce moment et à grand renfort de moyens médiatiques une chose qui était connue depuis longtemps des services de sécurité ? Se pourrait-il que derrière cette décision se cachent des motifs politiques ? Y a-t-il eu décision de révéler le complot terroriste à un moment politiquement favorable et de l’utiliser afin de pouvoir imposer plus facilement des mesures de renforcement de l’Etat, par exemple la perquisition d’ordinateurs privés, que le ministre de l’Intérieur Wolfgang Schäuble (CDU) réclame depuis longtemps et qui s’est jusqu’à présent heurtée à une forte résistance ?Est-ce un hasard si, quelques jours avant que ne soit révélée au grand public les préparatifs d’un « attentat terroriste islamiste », le magazine politique mensuel « Internationale Politik » de l’organisme semi-étatique Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP) est paru avec le titre « L’islam en Europe — un gain ou un danger ? » Dans l’éditorial de cette édition on peut lire « En effet : depuis que les intégristes islamiques jettent des bombes en Europe, font sauter des trains, assassinent des cinéastes et que de jeunes musulmans frustrés mettent le feu à la banlieue parisienne, les sociétés majoritaires européennes ont pris connaissance avec effroi du fait que, parmi elles, vivent environ quinze millions de musulmans… ».Ce qui est certain, c’est que la révélation faite avec beaucoup de publicité des préparatifs d’un attentat terroriste observé depuis des mois par la police est instrumentalisée à des fins très réactionnaires.La chancelière Angela Meckel (CDU) qui, le weekend dernier lors d’un congrès du CDU a une fois de plus exigé « le renforcement de la culture dirigeante allemande » a adressé aux autorités de l’enquête « louanges, remerciements et reconnaissance » pour leurs « récents succès dans la lutte antiterroriste ». Les arrestations montraient, dit-elle à Berlin « que les dangers terroristes ne sont pas, chez nous non plus, abstraits, mais biens réels » et elle souligna combien des « mesures préventives étaient importantes ».Le ministre de l’Intérieur Wolfgang Schäuble fut plus direct. Il souligna combien le danger issu du « terrorisme international » était « réel », dit qu’il n’existait pas seulement pour les soldats et les gens engagés dans la reconstruction en Afghanistan ou pour les installations américaines en Allemagne. Sans le dire explicitement, Schäuble se sert de la peur des attentats terroristes en Allemagne pour justifier l’intervention de l’armée allemande en Afghanistan en tant qu’« intervention anti terroriste » et afin d’intimider les opposants à la guerre qui, à la veille d’un nouveau vote parlementaire sur cette question à la mi-septembre, ont appelé à une grande manifestation contre la guerre en AfghanistanSchäuble appela à la tenue « cette semaine encore », d’une réunion spéciale de la Conférence des ministres de l’Intérieur de toute l’Allemagne. Le président de cette conférence, le ministre de l’Intérieur de Berlin, Ehrhart Körting (SPD), réagit en convoquant pour ce vendredi même les ministres de l’Intérieur des Lands à Berlin. De toute évidence, la conférence veut battre le fer tant qu’il est chaud et soutenir les mesures de renforcement de l’Etat et des attaques contre les droits démocratiques de Schäuble.Celui-ci déclara qu’il maintenait son exigence que les perquisitions d’ordinateurs soient ancrées dans la loi et que sa revendication acquérait une nouvelle importance. Il ne voulait pas « mener ce débat aujourd’hui », dit-il. Mais il était clair que les terroristes se servaient pour leur travail « hautement conspiratif » de tous les moyens de communication modernes et qu’ils communiquent à un haut degré par internet. « Autant que je sache, ils ne se sont pas servis de pigeons voyageurs » dit-il. Selon les dires du ministre de l’Intérieur bavarois, Günther Beckstein (CSU), une des personnes arrêtées serait de Munich. Cet homme vivait depuis plusieurs années dans la ville d’Ulm en Bade-Wurtemberg. Comme il avait encore des contacts en Bavière, les services de sécurité bavarois ont participé à la surveillance des suspects, a dit Beckstein.Selon Beckstein, cet homme avait visité il y a quelques semaines des connaissances en Bavière et il « avait visité des sites internet islamistes avec eux ». Beckstein souligna que cela montrait que les perquisitions d’ordinateurs privés à des fins de lutte contre le terrorisme, telles qu’elles sont exigées par Schäuble sont un « moyen extraordinairement important et utile ». Cela bien que, dans ce cas, les mesures déjà existantes auraient aussi été suffisantes. Le président américain George W. Bush félicita les autorités allemandes pour le « succès de leur enquête » et fit dire par son porte-parole Gordon Jondroe que le président était très content de voir que la collaboration des services de sécurité avait parfaitement réussi. L’arrestation effectuée en Allemagne rappelait à la mémoire des gens la menace terroriste mondiale.Note: Cet article a ete deja publie sur le site internet de SW.

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