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Monday, December 9, 2024

Benoît Batraville abattu en uniforme militaire américain

Par Dominique BatravilleLe guérillero haïtien Benoît Batraville a été tué le 20 mai 1920. Son bourreau, un membre des forces américaines de l’occupation de 1915, l’avait forcé à arborer l’uniforme des marines avant de l’abattre. Ce personnage, très souvent associé à Charlemagne Péralte, un des chefs des Cacos, paysans du Nord et du Nord-Est d’Haïti qui ont résisté à l’occupation américaine, tué, lui, le 31 octobre 1919, est peu connu.Descendant moi-même de cet instructeur, je suis parti à sa rencontre. Adolescent, je me suis rendu à Mirebalais – Benoît Batraville y est né en 1877. J’ai rencontré une de ses proches, une mulâtresse assez instruite. J’espérais surtout voir des photos de Benoît, pour combler un vide iconographique et reconstituer sa mémoire. Je suis rentré relativement insatisfait.L’historien Roger Gaillard aurait cependant trouvé des photos… Je me demande seulement si elles sont crédibles. Selon Georges Michel, également historien, il existe « quelques photos de Benoît avec une famille Batraville qui lui était apparentée. Celle-ci vivait à Pétion-Ville, à la rue Magny, au cours des années 1960. « Je pense qu’il faudrait questionner ces personnes », estime le Dr Michel. « Il y avait Pierrot Batraville et bien d’autres proches de Benoît. » Une bonne piste pour moi.Je ne m’arrêterai pas. En bon descendant de Joseph Benoît Batraville, compagnon d’armes de Jean-Jacques Dessalines, premier chef d’Etat haïtien et aussi de Benoît Batraville, lieutenant de Charlemagne Péralte. Par exemple, cela m’a fait de la peine quand j’ai lu dans un ouvrage d’histoire écrit très récemment que Charlemagne Péralte avait rencontré fortuitement dans le Nord Benoît Batraville, à la suite d’une histoire de vol. Je ne m’arrêterai en dépit de telles ambiguïtés. « Je vous dirais ceci comme le Christ +que celui qui n’a jamais péché lui lance la première pierre+ », m’a d’ailleurs rassuré le Dr Georges Michel. L’historien a en plus accepté d’évoquer ici la mémoire de ce résistant.HPN : Vous avez travaillé sur des personnages historiques ayant lutté contre l’occupation américaine de 1915. Le chef du mouvement Caco, Charlemagne Péralte, vous a inspiré une brochure. Qu’en est-il de son assistant, le commandant Benoît Batraville, dit Ti Benoît ?Georges Michel : Effectivement, après l’élimination par la trahison de Charlemagne Péralte, la révolte a continué sous les ordres de son plus habile et son plus capable lieutenant, qui était Benoît Batraville, alias Ti Benoît. Il a été cerné à Barrière Roche, tout près de Lascahobas, encore par trahison. Les Américains ont pu soudoyer des paysans pour qu’ils révèlent où se cachait Benoît et une escouade a été le prendre. Il a été abattu sans autre forme de procès. Les Américains, qui commettent toujours des excès, ont enterré Benoît Batraville au cimetière de Mirebalais où vous pouvez voir encore sa tombe…HPN : Précisons en passant que cette tombe aurait été profanée par les Saints des derniers jours, en l’occurrence des Mormons américains.GM : Cela s’est passé pendant ou après la Seconde occupation, qui remonte à 1994…HPN : Quelque temps après la seconde désoccupation.GM : Benoît Batraville a été enterré avec l’uniforme du corps des marines. C’était une façon de l’humilier et de lui dire « toi, qui n’as pas aimé l’uniforme américain, tu vas partir avec lui. » On a habillé Benoît en marine pour l’enterrer. Voilà jusqu’où les Américains ont poussé la caricature.HPN : Vous avez là des éléments importants pour consacrer un ouvrage à Benoît Batraville.GM : Roger Gaillard a parlé de Benoît dans un livre assez intéressant « La guérilla de Benoît Batraville ». Mais il y a beaucoup d’investigations qui doivent être menées car la biographie de Benoît Batraville n’est pas encore écrite. Je dois vous dire que ceci a été relativement facile pour Charlemagne Péralte, parce c’était un homme plus connu, qui a occupé des fonctions publiques. Tandis que Benoît était moins connu. C’est Benoît qui a pris le flambeau de Charlemagne. La lutte continua à bien se dérouler sous la direction de Benoît Batraville. Les américains se sont rendus compte qu’ils devaient éliminer Benoît Batraville pour en finir avec cette insurrection et leur calcul a été juste. A partir du mois de mai 1920, l’insurrection n’a fait que décliner pour s’arrêter en octobre 1921, avec la capture du dernier chef Caco Achille Jean. Je dois signaler également que dans le livre de Roger Lescot, celui-ci fait état d’une guérilla résiduelle dans le Plateau central, de type Pernal par exemple, qui a duré jusque dans les années 30 sous Vincent, avant la Seconde Guerre mondiale. Il y avait quelques guérilleros indépendants, pas soumis à l’autorité, mais qui ne représentaient plus aucune force organisée… L’Américain avait soumis le Plateau central avec l’élimination de Benoît Batraville.HPN : Benoît Batraville n’a pas été qu’un guérillero, il a été également instituteur. Il a laissé même des lettres très bien écrites.GM : Benoît était un lettré. C’était quelqu’un qui était assez articulé et c’était le bras droit de Charlemagne Péralte. C’est la raison pour laquelle c’est lui qu’on a choisi pour le remplacer pour essayer de mettre les Américains dehors.HPN : Et pour les jeunes qui vivent maintenant une nostalgie des pères fondateurs d’Haïti, des Cacos aussi, d’un Charlemagne Péralte… comment les inciter à comprendre la résistance de Benoît Batraville à l’occupation yankee ?GM : Je leur dirais d’étudier les faits historiques. L’histoire haïtienne n’est passez enseignée. On se borne à Christophe Toussaint, Pétion et Dessalines, Pompons rouges contre Pompons blancs, Hédouville… Ce n’est pas que ça. Il faut étudier l’histoire politique de notre pays. Les jeunes ont pour devoir de le faire mais les aînés ont pour devoir de rendre cette histoire simple et intelligible pour passer le message aux jeunes. C’est à nous d’enseigner l’histoire aux jeunes.HPN : 2005 est le 90e anniversaire de l’occupation américaine, qu’est-ce qui doit être fait en cette occasion ?GM : En 84, j’ai rencontré un ami américain de l’AID qui m’a dit qu’« au lieu de nous préparer à célébrer le 70e anniversaire de leur débarquement 1915-1985, de célébrer plutôt le 50e anniversaire de leur départ 1934-1984. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit « parce que M. Berthold, qui était un fonctionnaire civil de la première occupation, en 1934, à la fin de cette occupation, a pronostiqué que dans soixante ans, nous serons de retour. » « In sixty years we will back. » La deuxième occupation est arrivée soixante ans moins un mois, moins deux jours après la fin de la première.

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