CSMS Magazine
Le rêve, au seuil de la réalité.
Le premier février prochain, l’île Maurice vieille de plus de trois cents cinquante ans d’existence, prendra acte une fois de plus, de ce fait incontournable qui s’enfonce inexorablement dans l’histoire pour atteindre le 173ème anniversaire de son abolition ; L’esclavage. Après plus de deux cents ans de domination, de travaux forcés, d’effroyables sévices infligés aux corps, meurtri dans l’âme, et la dignité plus que bafouée, dépouillés de tout, qu’ils retrouvèrent enfin la liberté par un matin du premier février 1835. Pour autant de sangs répandus et pour tout ce sel de leurs corps, que nos ancêtres ont sué sur le sol de l’île Maurice, nous n’avons pas le droit de laisser à l’oubli historique d’étioler l’héritage de la mémoire de ce passé. Autant la domination fut horrifique, autant la résistance fut majestueuse.
Qu’il fut long ce chemin parcouru depuis la libération de l’esclavage ! C’est un devoir sacré que de commémorer cette date chaque année, mais c’est aussi avec le sentiment que le présent doit rendre compte au passé. Avec nos acquis et nos manquements, c’est l’histoire de la présente génération qui s’écrit lentement chaque jour.
Aujourd’hui encore, les événements qui se passent aux yeux du monde entier feront date dans l’histoire. Le périple de la souffrance du peuple palestinien qui lutte toujours pour retrouver une terre qui leur fut quelque part promise. Le peuple sud africain après tant d’années de lutte, est arrivé à en finir avec le système inique de l’apartheid et prendre en mains leur destiné. L’événement du moment est sans aucun doute l’arrivé de Barack Obama à la maison blanche. Ironie du sort, maison qui fut en partie construite par les mains d’esclaves. Une présidence qui symbolise à plus d’un titre l’aboutissement du rêve américain ou tout simplement une Amérique sans barrières de races telle que l’imaginait Martin Luther King.
Entre rêver et mener une lutte, il y a tout un engagement. C’est une communauté, un peuple, qui se met en marche pour faire aboutir son ambition. Dans toutes les sociétés, les luttes se ressemblent, étrangement des fois. Quand, les droits ne sont pas bafoués, les cultures et les valeurs intrinsèque sont méprisées en faveur de ceux qui détiennent le pouvoir ; privant ainsi l’individu des éléments de bases, pouvant lui permettre la possibilité de s’épanouir. C’est dans cette condition que la communauté créole est contrainte d’évoluer. Il est certain que, tous ceux, épris de justice doivent obligatoirement unir leurs forces derrière une cause. La situation des noirs américains, ressemble quelque peu à celle des créoles mauriciens.
Toutefois, on risque de ne pas obtenir les mêmes réponses aux mêmes questions, tout comme les mêmes solutions aux mêmes problèmes. Car le système de l’éducation, où la structure sociale américaine peut offrir plus de chance d’épanouissement à l’individu. Il y a aussi l’état de conscience individuelle et collective, qui anime la mentalité américaine. Contrairement à l’esprit des créoles mauriciens qui semble être embrigadé, dans une sorte de fatalité. Pour mieux cerner la situation des créoles mauriciens, dont l’image n’est guère rayonnante, dans le profil de la société mauricienne. Il n’y a pas de recette de lutte. Il faudrait avoir le courage de regarder en face, de pouvoir faire son autocritique, et de ne pas fuir la réalité ou de faire la politique de l’autruche.
Osons !
- Il n’y a pas de docteurs ou de spécialistes d’origines créoles dans nos hôpitaux. Pourquoi ?
- Il n’existe pratiquement pas de créoles parmi les professionnels du secteur public ou privé
- Les créoles ne sont pas propriétaires de ces belles maisons de nos villes ou villages ou de nos campements pieds dans l’eau.
- Rares, sont les belles voitures de notre parc automobile, appartenant à des créoles.
- Pourquoi tant des créoles dans les prisons?
- Le taux d’échec, au niveau du CPE est élevé dans des zones à fortes densités créoles, et une infime minorité des enfants créoles accèdent aux tertiaires.
- L’absence des créoles dans l’agriculture.
- Et j’en passe sur les conséquences du chômage ou de l’ampleur des dégâts de la drogue et du SIDA dans le milieu créole.
L’on ne peut pointer du doigt quiconque, qui est à l’origine des malheurs de la communauté créole, mais c’est le portrait désolant que montre la strate sociale, en ce qu’il s’agit de la position de la communauté créole dans la société mauricienne multiethnique et multiculturelle. Et, pourtant les piliers offrant la possibilité de progresser existent bel et bien. D’abord une politique démocratique. L’île Maurice, pays des droits de l’homme, offre la possibilité et la liberté d’expression, à tout individu ou toute communauté qui voudrait bien se frayer un chemin dans l’univers de la promotion sociale. L’éducation est gratuite jusqu’au niveau secondaire. Malgré ces éléments de base, la communauté créole semble être bloquée et n’arrive pas à entamer une lutte pour son épanouissement.
On aimerait tant pouvoir déceler la clé de ce blocage qui empêche la communauté créole d’entamer son chemin de Lutte. Tandis que la raison s’impose comme un flagrant délit, pour mener une lutte et défendre ces droits. L’absence d’un état de conscience individuel et collectif se fait drôlement sentir. La situation de la communauté créole semble être confuse, et la voie de la promotion sociale encore plus complexe. Dans cette complexité surgit inévitablement l’emprise de l’église catholique qui a cassé l’individu créole au lieu de le construire. Privant celui ci de son essence culturelle, et pratiquant une intelligente langue de bois en ce qu’il est des problèmes de la communauté créole. L’autorité de l’église catholique a pour ainsi dire laissé pourrir la situation de la communauté créole, et toujours pratiqué l’égocentrisme qui lui est propre, favorisant l’ésotérisme religieux, au profit d’un engagement pouvant mener à un épanouissement communautaire réel. D’autre part les partis politiques à vocation créole ont toujours cherché à assouvir leur soif de pouvoir, comme des sanguinaires en puisant leur force dans l’électorat créole.
C’est dans le cadre de l’anniversaire de l’abolition de l’esclavage, que L’OCAM en 1992 a débuté sa campagne de prise de conscience. Une prise de conscience qui après tant d’années nous laisse avec des acquis, sur lesquels l’ont peut toujours envisager de construire l’avenir. Toutefois, Le facteur limitant pour la communauté créole, c’est de trouver une idéologie progressive, cadrant avec la réalité mauricienne.
Au seuil de ce 173ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, Le constat est désolant pour la communauté créole. Tandis que l’île Maurice avance sur le chemin du Progrès, la communauté créole s’enfonce, pour ne pas dire repoussé quand- a-elle massivement au bas de l’échelle de la société mauricienne.
Il est temps pour la communauté de prendre des décisions, et de ne plus se laisser berner par les fausses promesses politiciennes, de ne plus apporter son soutient aux partis politique, qui ne répondent pas aux aspirations pour faire avancer la communauté créole. Il n’est jamais trop tard pour prendre en mains sa lutte et se laisser animer par un esprit dévolu à une cause légitime que nous a légué le passé.
Et, si seulement les créoles pouvaient dans leur imagination créer le rêve d’un lendemain meilleur, ils auraient enfin compris que la compassion ne nourrit pas son homme.
Il n’existe pas d’autres façons pour la communauté créole d’honorer son histoire, que de pouvoir rêver comme les Américains…
Note : Paul. E. François est mauricien et il est engagé dans la lutte pour la promotion et l’émancipation de la communauté créole à l’île Maurice, l’une des plus belles îles du monde.
Voir aussi L’univers de l’imaginaire
Commission Justice et Vérité pour l’île Maurice
CULTURE ET IDENTITE CREOLE : Génocide latent
La Communauté Créole de l’île Maurice prise dans le joug des pouvoirs