Par Frantz DELICECorrespondant de CSMS MagazinePort-au-Prince, Haïti—Dans différentes artères de la capitale, des affiches publicitaires invitent à des soirées dansantes, telles que ‘’Reggæ night’’ ‘’Reggæ light’’ ‘’Saturday night’’ ‘’Friday night’’ ‘’Ladies night’’. Ces affiches comportent en plus du nom du disc –jockey (DJ), du prix (pour les hommes), et de la date, des slogans sexistes et équivoques tels que : ‘’fanm gratis ‘’- ‘’fanm gratis avan 9 vè ‘’ –‘’ fanm gratis aprè 11 zè’’ – ‘’Ladies free before 9 h PM’’ Femme, la proie de la concurrence… Selon une enquête menée, ces formules sont issues de la concurrence effrénée qui existe entre les DJ de la capitale. Chaque DJ espère drainer beaucoup de monde à sa prestation. Comme si la performance du DJ se mesurait à la quantité d’assistant qu’il y a dans une soirée. Pour atteindre cet objectif, ils ont utilisé l’appât par excellence selon eux : la femme. Car il n’y a pas de soirée musicale, de bal digne et prestigieux sans la présence féminine. C’est en ce sens qu’opine un jeune interrogé sur la question : « Je crois que c’est une façon pour inviter les fans aux spectacles. Wap dako avem san fanm pa gen bal. » Et FF, une jeune femme renchérit : « à propos du slogan je pense que c'est pour inciter les jeunes gens à venir, c’est comme l'affiche de prestige. C'est pour attirer beaucoup plus de garçons. Ce qui est mauvais dans tout cela c'est que les filles qui y vont ne s'en fou pas mal. Elles ne se rendent pas compte combien on est en train de ternir leur image. » Comme la proie, l’appât; les femmes ont toujours exercé une force attractive sur certains hommes; et elles occupent dans leur imaginaire une place de choix. Les bals sont vus comme le lieu de prédilection pour des rencontres plus ouvertes et intimes. Mais à coté de cela il faut mettre en évidence le faible pouvoir d’achat des femmes et une forme de socialisation, celle d’attendre une invitation. BE, un jeune homme de théâtre explique de son coté le double sens des ces slogans: « medàm yo ka rantre san yo pa bay senkòb nan pwogram nan. Nan lè sa yo tou misye yo ka jwenn medam yo san peye. Sa vle di, depiw la – nenpot moun ka mandew nenpot ki bagay ou dwe ba lil’, pwiske fanm gratis. Une autre forme de violence symbolique… »« Fanm gratis » – «fanm gratis avan 9 vè»- «fanm gratis aprè 9 vè», ces slogans sont une autre forme de violence faite aux femmes, mais une violence qui rentre dans le sphère communicationnel et symbolique, résultat de la société de consommation. Une jeune femme universitaire interrogée pense que « c’est une expression à double sens, utilisée par exprès pour induire en erreur : les males. Fanm gratis peut vouloir dire que des femmes seront mises gratuitement à la disposition des hommes avant 9 h, ou que les femmes n’auront pas à payer avant 9 h. » Dans ces formules publicitaires, l’appât ou l’accroche se retrouve dans l’implicite et l’ambiguïté dans laquelle l’homme pourrait se trouver .La question fondamentale est : est-ce que les femmes ne payeront rien pour participer, où est-ce les hommes pourront jouir des femmes sans qu’ils aient à donner quelque chose en retour ? Et c’est là, toute la violence de ces formules. LJ ,un jeune homme aborde ces slogans en ces termes « moi, à la première lecture, je pensais qu’il s’agissait d’une publicité pour des femmes offrant des avantages sexuels gratuitement, à partir de neuf heures du soir. Est-ce volontaire de la part des commanditaires ? Ou est-ce de façon à attirer l’attention beaucoup de monde ? Si c’est le cas, ceci me paraît une exploitation du concept « femme objet », femme objet sexuel à exploiter pour vendre nos produits de consommation. » Ces slogans présentent la femme comme des objets sexuels et des parasites ; « car tout ce qui s’acquière gratuitement n’a pas tellement de valeur. Du même coup, une femme qui se retrouve dans une situation où elle ne veut pas danser avec quelqu’un peut être victime de n’importe quoi » affirme Monsieur T, graphiste décrivant la situation dans laquelle se retrouve une femme qui accepte de participer dans une de ces soirées sans rien verser par ce qu’elle est femme. Elle est infantilisée et objectivée, car cela se comprend ainsi: soit qu’on exploite son corps ou soit elle est dispensée de payer le billet d’entrée. Selon le même regard monsieur J, un jeune homme souligne le fait que ces slogans dénigrent et rabaissent implicitement les femmes « à mon avis, je vois qu'on rabaisse la femme. On la prend réellement pour un objet. Et puis il y a encore un autre sens, ce pourrait que dans ces festivités il y a des femmes à gogo donc gratis, les hommes peuvent les prendre sans rien payer et s'amuser. C'est triste mais les femmes l'acceptent. » SD, une psychologue interrogée abonde dans le même sens du mépris de la femme « c’est un insulte à l’endroit de la femme. » Selon d’autres interviewés, il y a une perte de valeur pour la femme qui participe à ce genre de spectacle. Pour certains, nous sommes dans le domaine de la perception symbolique et psychologique. Participer dans ces activités peut signifier qu’on a compris et accepté, et même intériorisé l’implicite de ces slogans. Un jeune homme déclare en ce sens « En résumé, une femme qui accepte de se présenter dans un bal gratuit pour des femmes n’a pas compris le slogan et donne la possibilité aux hommes de les dénigrer. » Lorsque la télé et de la radio se prêtent aux jeux… du dénigrement ! JP, jeune étudiante en communication sociale à la faculté des sciences humaines mentionne que ces slogans ne se retrouvent pas seulement dans des affiches murales, et des billboards, mais ces slogans sont utilisés dans le monde de la publicité à la radio et la télévision, et participent dans les discriminations dont sont victimes les femmes haïtiennes : « sans manque, cela prouve comment les femmes sont victimes de toutes sortes de discriminations sexistes. J’ai été moi aussi surprise d’entendre cela à la radio, point n’est besoin de vous dire combien cela m’a choqué premièrement en tant que féministe et deuxièmement en tant qu’étudiante en communication sociale. Je me demande est-ce que les gens ne sont pas conscients de l’image qu’ils sont en train de véhiculer, en effet je suis consciente de l’étiquette qu’on colle à la femme, une image malsaine de leur corps mais tout de même je n’aurais jamais pensé que cela arriverait dans les medias. » D’autres interviewés ont corroboré l’observation de mademoiselle JP. Ces formules ont été utilisées selon eux entre autres dans une annonce en 2006 à la radio et la télévision pour une soirée au Club D, de Jacques Sauveur Jean, surnommé le prince de l’amour ; et un animateur bien connu d’une station de la capitale a prêté sa voix pour vanter cette soirée qui s’annonçait particulièrement électrisante. LM, jeune économiste pense que « si cela a pu être dans des spots radiophoniques, c’est qu’ il y a une certaine tolérance, déjà une certaine acceptation de l’idée que la femme est une marchandise et que maintenant que c’est gratuit il y a de quoi en faire une publicité. »Voir la femme comme personne humaine et non objet sexuel…Cette phrase est un vœu pieux et n’est pas encore une réalité, à lire les différents slogans utilisés dans les publicités qui pullulent depuis 2006 à la capitale et dans certaines villes de province. Il est à souligner que le Ministère à la Condition Féminine et aux Droits de la Femme, sous la férule de la Ministre Marie Laurence Jocelyn Lassègue , a réalisé une campagne de sensibilisation qui a débuté à Musique en Folie, au mois de novembre 2007 pour s’achever en février 2008, lors des trois jours de carnaval. Lors de cette campagne, ce ministère a rencontré des publicistes, des musiciens et chanteurs, des journalistes, des disc-jockeys, des responsables de bande à pied, pour les sensibiliser sur le respect du corps de la femme dans le carnaval. De l’avis de plusieurs experts en communication, des actions conjointes et des mesures conjuguées avec le Ministère de la Communication et de la Culture, s’avèrent nécessaires pour juguler la dérive; entre autres une loi modernisée sur la publicité et la communication sera d’un grand secours et servira comme instrument très utile pour endiguer le phénomène des publicités sexistes et dégradantes de la femme et de son corps. En attendant ces mesures, la femme et son corps continuent d’être l’appât entre les mains de ceux qui veulent s’enrichir à leurs dépens !Voir aussi Responsabiliser les pères en Haïti ? AGNIECE FRANCOIS : Une femme, une plume au service des nouveaux talents!Rénette DESIR : Une voix de femme sur le chemin de la gloireNote : Frantz DELICE est notre nouveau correspondant en Haïti. Il est écrivain et il vit à Port-au-Prince. Vous pouvez lui contacter à frantzdelice@yahoo.fr