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Thursday, March 28, 2024

Le Fidel Castro que je crois connaƮtre

Par Gabriel Garcia MarquezSa dĆ©votion est au mot. Son pouvoir est Ć  la sĆ©duction. Il va chercher les problĆØmes lĆ  oĆ¹ ils sont. L’impulsion de l’inspiration est l’un des traits principaux de son caractĆØre. Les livres reflĆØtent trĆØs bien l’Ć©tendue de ses goĆ»ts. Il a arrĆŖtĆ© de fumer pour avoir l’autoritĆ© morale de combattre l’addiction au tabac. Il aime prĆ©parer des recettes culinaires avec une sorte de ferveur scientifique. Il se maintient en excellente condition physique en passant des heures Ć  faire toutes sortes de gymnastiques et il nage frĆ©quemment. Sa patience est invincible. Sa discipline est de fer. La force de son imagination le pousse jusqu’aux limites de l’imprĆ©vu.JosĆ© Marti est son auteur prĆ©fĆ©rĆ© et il a eu le talent d’incorporer la pensĆ©e de Marti dans le torrent d’optimisme de la rĆ©volution marxiste. L’essence de sa propre pensĆ©e pourrait rĆ©sider dans la certitude que, si l’on entreprend un travail de masse, il est fondamental de s’intĆ©resser aux individus.Cela pourrait expliquer la confiance absolue qu’il place dans le contact direct. Il a un langage pour chaque occasion et un moyen distinct de persuasion selon ses interlocuteurs. Il sait comment se mettre au niveau de chacun et possĆØde des connaissances vastes et variĆ©es qui lui permettent d’ĆŖtre Ć  l’aise dans tous les mĆ©dias. Une chose est sĆ»re : il est oĆ¹ il est, comme il est et avec qui il est. Fidel Castro est lĆ  pour gagner. Son attitude en face de la dĆ©faite, mĆŖme dans les actions les plus insignifiantes de la vie quotidienne, semble obĆ©ir Ć  une logique personnelle : il ne le reconnaĆ®t mĆŖme pas et il n’a pas une minute de paix tant qu’il n’a pas rĆ©ussi Ć  inverser les termes et Ć  les convertir en victoire.Son aide suprĆŖme est sa mĆ©moire et il l’utilise, jusqu’Ć  en abuser, pour soutenir des discours ou des conservations privĆ©es avec un raisonnement implacable et des opĆ©rations arithmĆ©tiques d’une rapiditĆ© incroyable. Il a un besoin incessant d’informations, bien mastiquĆ©es et bien digĆ©rĆ©es. Au petit-dĆ©jeuner il dĆ©vore pas moins de 200 pages de journaux. Comme il est capable de dĆ©couvrir la plus petite contradiction dans une phrase ordinaire, les rĆ©ponses doivent ĆŖtre exactes. Il est un lecteur vorace. Il est prĆŖt Ć  lire Ć  toute heure tout journal qui lui atterri entre les mains.Il ne perd pas une seule occasion de s’informer. Pendant la guerre d’Angola, lors d’une rĆ©ception officielle, il a dĆ©crit une bataille avec tant de dĆ©tails qu’il fut extrĆŖmement difficile de convaincre un diplomate europĆ©en qu’il n’y avait pas participĆ©.Sa vision du futur de l’AmĆ©rique Latine est la mĆŖme que celle de Bolivar et de Marti : une communautĆ© intĆ©grĆ©e et autonome, capable de changer le destin du monde. Le pays qu’il connaĆ®t en dĆ©tails le mieux aprĆØs Cuba sont les Etats-Unis : la nature de son peuple, ses structures de pouvoir, les intentions secondaires de ses gouvernements. Et ceci l’a aidĆ© Ć  affronter le tourment incessant de l’embargo.Fidel Castro n’a jamais refusĆ© de rĆ©pondre Ć  quelque question que ce soit, aussi provocatrice soit-elle, il n’a jamais non plus perdu sa patience. En ce qui concerne ceux qui sont Ć©conomes avec la vĆ©ritĆ©, pour de ne pas l’inquiĆ©ter plus qu’il ne l’est dĆ©jĆ , il le sait. ƀ un fonctionnaire qui agissait ainsi, il a dit : “Vous me cachez des vĆ©ritĆ©s pour ne pas m’inquiĆ©ter, mais, lorsque je finirai par les dĆ©couvrir, je mourrai du choc de devoir affronter tant de vĆ©ritĆ©s que l’on m’a cachĆ©es”. Mais, les vĆ©ritĆ©s que l’on cache pour masquer les dĆ©ficiences sont les plus graves, parce qu’Ć  cĆ“tĆ© des accomplissements Ć©normes qui donnent des forces Ć  la rĆ©volution – les accomplissements politiques, scientifiques, sportifs et culturels – il y a une incompĆ©tence bureaucratique colossale, qui affecte la vie quotidienne et en particulier le bonheur familial.Dans la rue, lorsqu’il parle aux gens, sa conversation retrouve l’expression et la franchise crue de l’affection sincĆØre. Ils l’appellent : Fidel. Ils s’adressent Ć  lui sans faƧons, ils discutent avec lui, ils l’acclament. C’est Ć  ce moment-lĆ  que l’on dĆ©couvre l’ĆŖtre humain inhabituel que la rĆ©flexion de sa propre image ne laisse pas voir. C’est le Fidel Castro que je crois connaĆ®tre. Un homme aux habitudes austĆØres et aux illusions insatiables, qui a reƧu une Ć©ducation formelle Ć  l’ancienne, utilisant des mots prudents et des tons contenus, et qui est incapable de concevoir toute idĆ©e qui n’est pas colossale.Je l’ai entendu Ć©voquer des choses qu’il aurait pu faire d’une autre faƧon pour gagner du temps dans la vie. Le voir surchargĆ© par le poids de tant de destinĆ©es distantes, je lui ai demandĆ© ce qu’il prĆ©fĆ©rait faire dans ce monde et il m’a immĆ©diatement rĆ©pondu : “Rester dans un coin”.Note : Cet article a Ć©tĆ© publiĆ© pour la premiĆØre fois dans Ā« La RĆ©publique des Lettres. Ā»

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