par Hudes DesrameauxSpécial pour CSMS MagazineCe débat que le pays était en droit d’attendre, et même exiger, lors de la désignation par le président de la République de M. Éricq Pierre comme son potentiel Premier ministre, n’avait pas eu lieu comme la nation et sa diaspora l’avaient souhaité. Ce débat malheureusement s’était résumé au président René Préval et à certains représentants de nos partis politiques s’engageant dans une interminable conversation au Palais national et, pire, à une Chambre basse où l’un des deputes ne trouvait mieux à dire que de traiter l’un de ses collègues deflatteur. Le pays était tout bonnement tenu à l’écart et, finalement, se résignait à avaler l’inacceptable: le spectacle ô combien horrible et horrifiant d’un Parlement (certains d’entre eux, fils de paysans) rejetant, sous le faux prétexte d’un problème de nom, le petit-fils de deux paysans dans un pays qui ne s’est jamais soucié de pourvoir ses enfants d’un acte de naissance ou autre pièce d’identité. En toute objectivité, disons clairement que nos députés avaient simplement fait valoir leurs prérogatives constitutionnelles lorsqu’ils rejetaient le choix de Préval qui, en dernier lieu, devait être en partie blâmé pour cette défaite. Tout compte fait, il semble que les hommes et les femmes de notre pays, sa diaspora incluse, ont per du leur capacité d’exprimer leur colère face à tant de faux problèmes. Et ceci pour le malheur de notre petit pays. Contre toute attente, et peut-être pour prendre au mot nos chers députés de la CPP qui auraient préféré un Premier ministre d’obédience progressiste, notre président en « consultation » avec les presidents des deux Chambres, a désigné comme Premier ministre M. Robert Manuel (a droite sur la photo), son ancien secrétaire d’État à la Sécurité et récemment l’un de ses «managers » de la campagne présidentielle de 2006. Pour ou contre ce choix, ce que le pays ne doit pas tolérer cette fois-ci, c’est ou bien refuser la tenue d’un débat sérieux autour de cette nomination, ou bien noyer ce débat dans l’eau assez chaude et mouvementée d’une interprétation restreinte et politicienne de notre loi-mère, ou bien dans le sang de nos préjugés qui ne nous ont jamais menés nulle part.Que le débat continue ici et ailleurs!Il y a des signes évidents qu’on est déjà parti d’un mauvais pied dans ce débat. L’internet est la place idéale d’où semblent venir des «arguments » erronés concernant le choix de M. Robert Manuel. D’abord, il y a l’argument que Robert Manuel n’a pas vécu au pays pendant 5 années consécutives comme le demande notre constitution. M.Manuel aurait laissé le pays en 2000 pour ne retourner qu’en 2005, l’année pendant laquelle M. Préval avait annoncé sa candidature à la présidence d’Haïti. Bien sûr, ces constitutionnalistes n’avaient rien dit lorsque M. Gérard Latortue avait été catapulté sur la scène politique haïtienne pour accaparer la primature. Il faut se rappeler que M. Manuel avait été forcé de laisser le pays après que sa vie, comme Jean Dominique, eut été menacée. Que certains veulent utiliser cet article de la constitution pour rejeter cette nomination est tout simplement méchant. Ce pays ne peut pas continuer à « se fusiller les pieds » en se comportant comme une terre remplie de cadres. D’autres « arguments » fourmillent l’Internet. Quelqu’un a déjà déterré un «document » de l’ancien sénateur de l’OPL, Yrvelt Chéry, lequel avait pris le malin et mauvais plaisir d’énumérer un ensemble de meurtres et d’assassinats au pays et ensuite de lier ces meurtres (sans donner de preuves, bien sûr) à un ensemble de noms qui auraient été derrière ces forfaits. Le nom de Robert Manuel y figure, comme celui de plus de 30 autres Haïtiens. On a déjà vu comment le Canada semblait avoir utilisé ce « document » pour refuser la rentrée au Canada du Premier ministre Alexis il y a plus d’un an. Il y a aussi cet article de Haïti Progrès où l’ancien sénateur Dany Toussaint a pointé du doigt Robert Manuel comme étant l’auteur du meurtre de l’ancien colonel Jean Lamy. Il faudra commencer à utiliser la justice de notre pays pour traiter de ces cas. Utiliser l’Internet ou tout autre medium pour accuser un compatriote de meurtre est irresponsable. Et voilà le grand mot que certains ont déjà l’indécence de prononcer: Bob Manuel est mulâtre. Pour nos parlementaires et autres qui commencent à utiliser ce faux argument, disons simplement que l’histoire de notre pays est remplie d’exemples où Mulâtres et Noirs ont donné leur vie pour le bonheur de notre pays. En d’autres termes, personne au pays n’a le monopole du bien ou du mal – Noir ou pas. Cherchez ailleurs pour ratifier ou rejeter la candidature de Bob Manuel. Venons-en au positif. Que faire pour que le choix du président soit en meilleure position pour être ratifié.1) Le président doit se battre pour cette ratification. Il doit être capable de mobiliser l’opinion publique afin d’expliquer pourquoi ce choix est dans l’intérêt du pays, et pourquoi ce serait un suicide de rejeter ce choix. Désigner Bob Manuel et disparaître ensuite de la circulation est équivalent à envoyer Bob Manuel à l’abattoir – vrai ou pas.2) Bob Manuel doit en toute franchise négocier avec nos parlementaires et amener dans ce débat d’autres forces de la société civile. Il doit jouer, de concert avec René Préval, cartes sur table avec les parlementaires qui doivent, eux aussi, faire valoir leurs prerogatives constitutionnelles sans toutefois empiéter sur le pouvoir de l’Exécutif à appliquer son programme. L’action du Parlement doit surtout se porter sur la mise en place d’un ensemble de mécanismes pour s’assurer d’une bonne application de nos politiques publiques. Cela ne veut point dire que le Parlement n’a, en amont, aucun droit à donner son input sur les options politiques et économiques du pays. Ce Parlement oublie trop souvent que le president est aussi un élu.3) Le secteur progressiste doit montrer qui est Bob Manuel même si ce secteur ne partage pas l’orientation idéologique du Premier minister désigné : En essence, un Haïtien (mulâtre si on aime les détails) qui, durant plus de trente ans, a combattu pour le bonheur des plus pauvres de ce pays.4) Mais c’est fondamentalement Bob Manuel qui doit s’introduire de nouveau à notre société. Et voilà ce qu’il doit dire:- J’ai combattu tous les bons combats des trente, quarante dernières années, en Europe, New York et, enfin, en Haïti. Et j’ai toujours accompagné les pauvres de ce pays pour un aller-mieux de leurs conditions matérielles.- Mon programme sera axé sur la lutte contre l’insécurité, la cherté de la vie, pour la production nationale. En somme, négocier avec «blan yo » en tenant compte des intérêts supérieurs de la nation.- Je suis prêt à gouverner avec les meilleurs de notre pays, pourvu qu’ils ou elles soient compétents et honnêtes. Hommes et femmes qui ont un « track record ».- Je ne suis pas parfait, j’ai aussi commis ma part d’erreurs et je suis prêt, avec l’aide des hommes et femmes de bonne volonté de ce pays et de sa diaspora, à affronter les défis auxquels le pays aura à faire face demain et dans les trois prochaines années. Le pays n’en demande pas mieux.Voir aussi: Le temps de rallumer les étoiles!Dany Laferrière et son sacré Polaroid Note: Hudes Desrameaux est écrivain et édotiraliste.. Il est aussi notre collaborateur. Il vit en Floride. N.B. Cet article a été publié pour la première fois dans le quotidien haitien Le Matin.