Par Hudes DesrameauxSpécial pour CSMS MagazineDany est de Petit-Goâve; moi, de Saint-Louis du Nord. Comme tant d’autres. Fils des provinces d’Haiti qui de très tôt se sont installés à Port au Prince après nos études primaires. Et comme tant d’autres nous avons grandi sous les regards bienveillants de ces Grann Da qui nous ont inculqué nos premières notions de la vie. Parmi l’arôme d’une forte odeur de café.Autant de raisons qui m’auraient portées à aimer l’écrivain Dany Laferrière. Cependant, ceci n’est pas suffisant. Société patriarchale que celle d’Haiti, ce sont pourtant des femmes qui tiennent encore nos petites mains pour la grande traversée vers l’adolescence et après. Port au Prince représente jusqu’à aujourd’hui le point de mire de milliers de provinciaux pour qui l’aventure de la capitale tente toujours.J’ai toujours aimé l’écrivain Dany Laferrière pour bien d’autres raisons. J’aime Dany l’écrivain-journaliste, pour en être plus sûr. Devais-je plutôt dire de l’humoriste qui cache derrière le journaliste? Et de ses éclats de rire qui s’élancent follement de la gorge de ces phrases aussi simples que profondes.J’ai commencé à lire Dany dès le milieu des années 70. Le Petit Samedi Soir de Dieudonné Fardin donnait alors refuge à de jeunes journalistes qui – à l’époque – s’appelaient Jean Robert Hérard, Pierre Clitandre et Gasner Raymond. Gasner tombait à Brêches en 1976, peut-être livré à la dictature par le même Dieudonné Fardin. Dany avait dejà ce talent de nous faire rire au beau milieu de cette dictature cruelle et obscurantiste.J’ai épié Dany Laferrière jusqu’à son passage à Haiti Observateur dans les années 80 et continué à aimer ses chroniques qui ouvraient une fenêtre bien grande sur nos façons de voir, de dire, et de faire les choses en diaspora. En dehors de la terre natale.Mon contentement a été donc grand lorsque Mémoire D’encrier a choisi de compiler les articles de Dany Laferrière et en faire un livre. Le titre: Les années 80 dans ma vieille Ford. Rodney Saint Eloi et son équipe à l’édition pouvaient tout aussi bien titrer le livre: Dany et son Polaroid.En effet, on peut facilement envisager Dany avec son Polaroid à la main parcourant les rues de Miami ou de New York. Dans Les années 80 dans ma vieille Ford, il s’agit de petits portraits Dany a bien voulu nous tirer balandant sur l’autoroute de notre diaspora. Ici à Miami, Dany nous parle de Marcus Gracia qui a été chassé de son pays pour n’avoir pas pu chasser de son cœur une conception d’Haiti autre que celle qu’avaient en tête Jean Claude Duvalier et son équipe de bourreaux.Là-bas à Bahamas, Dany nous raconte l’histoire de Max Dominique, ce prêtre né dans le privilège mais qui s’est donné pleinement jusqu’à la mort à la cause des milliers de réfugiés fuyant les dictatures successives qu’a connues notre pays.Raymond Philoctète? Dany jette ce nom et mentionne brièvement Mini chroniques. Confidence: bien avant d’avoir lu la chronique consacrée à Raymond Philoctète, j’avais vite remonté aux Mini chroniques de Philoctète publiées au journal Le Nouvelliste au milieu des années 70 pour trouver quelque chose de similaire avec ce qu’a tenté Dany à l’hebdomadaire Haiti Observateur.Tenez-vous bien? Ces chroniques étaient placées, non pas au fond de la page culturelle, mais à la première page du journal. Je pouvais manquer mes leçons de Latin, mais il était impensable de ne pas courir chez le voisin et lire les Mini chroniques de Raymond tant qu’elles représentaient la crème de la littérature sociale de l’époque.Il faut remonter aux romans de Frédéric Marcelin pour trouver ce regard froid et frondeur sur les réalités haitiennes. Le génie de Raymond est qu’en peu de mots il nous tirait un portrait assez vivant du pays à l’époque qu’il vivait. Dany, lui, poursuit ce travail en se concentrant sur la diaspora haitienne.Dany a donc projeté son miroir sur cette société qu’on veut à tout prix bâtir en dehors de la terre natale en faisant parler ou en parlant de ces hommes et femmes lourdement armés de leurs histores, de leurs rêves, de leurs désespoirs.De jolis petits portraits qui parfois sont flous, bruyants, touchants, vivants. Digitalisés avant l’heure. Montrant trop ici (ses excuses à Paul Laraque vint ans après) et pas assez là-bas (les luttes politiques contre l’immigration). Mais souvent montrant presque tout avec cette même franchise déroutante.Et pour vous lecteur, voilà l’autre raison pouquoi j’ai toujours aimé Dany Laferrière. Je n’ai jamis lu un écrivain aussi honnête et franc. Il écrit ce qu’il pense. Il écrit de ce qu’il a vécu. Voilà pourquoi il est l’un des écrivains haitiens à pouvoir vivre de ses écrits.Dans un contexte où beaucoup de jeunes avaient voulu montrer les Duvaliers de quel bois ils chauffaient, Dany nous dit clairement que, lui, il est lâche. Mais il se raffolle de ces gens qui ont donné leur vie pour faire balancer la dictature. Comme Jacques Stephen Alexis. Comme Gasner Raymond. Comme Richard Brisson. Comme tant d’autres.Un grand merci à Mémoire d’encrier pour nous avoir livré Les années 80 dans ma vielle Ford. Une petite question à l’éditeur Rodney Saint Eloi: Pourquoi ne pas éditer ce petit chef-d’œuvre littéraire que sont les Mini chroniques de Raymond Philoctète? Note: Hudes Desrameaux est écrivain et édotiraliste du journal hebdomadaire anglophone The Haitian Times. Il est notre nouveau collaborateur. Il vit en Floride. Voir aussi: Rodney Saint-Eloi : https://csmsmagazine.org/news.php?pg=20060823I233Aussi: Danny Laferrière : https://csmsmagazine.org/news.php?pg=20060613I123