Par Paul E. François
CSMS MagazineLe Séga, deux syllabes, qui résonne comme deux notes de musique. S’aurait pu l’être, car le Séga est une musique par excellence, sortie tout droit des entrailles de l’histoire. Si son créateur n’est pas connu, sa raison d’être et son origine n’est pas pour autant méconnue. Terre d’accueil et témoin de la mémoire des hommes venus de diverses régions africaines, nommément le Mozambique, la grande île Madagascar, et du Sénégal, livraient à la servitude sur cette terre neutre, avec comme seul atout leurs émotions, et dans leurs mémoires d’hommes libres, les souvenirs brisés de leurs rituels et coutumes de brousses. Ce fut pour eux plus q’un exutoire que de pouvoir donner une raison de vivre ou comme pour expier ce mal être de la servitude, par des incantations et les gestes ou même succombant dans ce désir de survivre, et de se perpétuer qu’ils trouvèrent un certain salut. C’est ainsi, de cette inconscience et dans l’immatériel qu’à prit naissance les trois principaux éléments qui ont rythmé la vie de tout un peuple, des siècles durant. Il a pour nom le Séga, et se compose de chansons en langue créole, d’une musique typiquement traditionnelle, avec des instruments du terroir de cette danse virevoltante, séduisante, envoûtante, qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Selon l’oralité, le Séga dans son état primaire n’était que des incantations inventées sur place, avec comme toile de fond sonore, des sons rythmés par des instruments futiles et des claquements des mains, et selon certains dires le Séga faisait parti de la stratégie de la résistance contre le système servile en faisant passer des messages. Le Séga, sorti de la pénombre de l’histoire accède a un statut de musique folklorique, se dotant des instruments faits des mains d’esclave, tel que la Ravanne ( Percussion faite à partir du peau de chèvre tendue sur un cercle de bois) le Triangle (Un bout de fer rond, en forme de triangle avec un bout de fer droit pour frapper l’intérieur du triangle) La Maravanne (Boite en fer blanc ou en bois contenant des graines de « collier-cipaye » Avec des chansons à thème et de danses avec une chorégraphie qui laisse la part belle à la susceptibilité et la créativité individuelle. Le Séga, on ne peut l’expliquer, Il s’exécute. La célébration de cette musique dans son aspect la plus originale, typique et comme un rituel, se danse autour du feu de préférence la nuit. C’est par une partition tantôt saccadée et tantôt entraînante que la ravanne résonne jusqu à faire vibrer le sol, accompagné de secouements rythmés de la maravanne, qui s’allie avec les sons pointus du triangle vous libère une symbiose de notes et de vibrations ensorcelantes, qui vous conquit le corps et l’esprit. Comme la cuisine créole épicée, le Séga a un goût des tropiques, picotant, chatouillant, qui le rend irrésistible. Malgré tout, marginalisé, ayant dû subir les stigmates d’un certain ostracisme et de « cholorisation » la culture traditionnelle créole était tout simplement interdite dans certain milieu, et dans la liturgie de l’église catholique ou il fut considéré comme une culture païenne. Cela n’a pas empêché cette musique traditionnelle créole, d’évoluer en un phénomène culturel à caractère proprement humain. Cette puissance est devenue la pierre angulaire de l’identité de la communauté créole. C’est sans tambours ni trompettes, que la langue créole a rempli ce rôle inestimable en tant que patrimoine culturel immatériel comme facteur de rapprochement, d’échange, de compréhension dans la société mauricienne multiculturelle. C’est un élément unificateur incontournable et incontesté. C’est aussi le langage que privilégies, les politiciens pour séduire et conquérir l’électorat à l’occasion de consultations populaires. Force est de reconnaître sa contribution indispensable dans l’économie mauricienne, et s’il n’existait pas, il aurait fallu l’inventait… L’accueil des touristes et les animations dans nos hôtels dépendent largement de cet apport culturel et traditionnel. C’est principalement pour cette raison que le festival créole a été crée pour servir d’appui et attirer d’avantages les monnaies sonnantes et trébuchantes des touristes étrangers vers nos hôtels. Cette épopée culturelle, d’évidence glorieuse n’est pas pour autant reconnue, et, son avenir est peu reluisant. La culture créole est au creux de la vague, d’où le reflet aussi sombre de l’identité créole. Si cette puissance culturelle a dans le passé résisté aux adversités, elle est aujourd’hui confrontée à d’autres problèmes, dont le recul aujourd’hui de la culture créole s’explique par le fait que les autorités ne donnent pas les moyens d’épanouissement nécessaires et ne favorisent guère la promotion de la culture traditionnelle de la communauté créole. Après plus de vingt cinq ans d’existence, l’on doit s’interroger sur le véritable rôle du Centre Nelson Mandela pour la culture africaine, dont le maigre cahier des charges ne se résume aujourd’hui qu’à de simples petites apparitions à la télévision. Quel affront ! A cet illustre fils d’Afrique, dont les gouvernements successifs n’ont donné aucune suite à la construction du centre qui devait porter son nom. Le phénomène « Fusion » est peut-être enrichissant sur le plan transculturel, mais il est néfaste à l’authenticité du Séga traditionnel, qui de plus en plus disparaît dans les régions les plus reculés de l’île où la nouvelle génération de la communauté créole se laisse influencer et s’intègre facilement dans d’autres styles rejetons du Séga ou de musique «Techno. » La culture créole est aussi menacée de l’intérieur par les effets de la mutation sociale, les complexes d’infériorité et les séquelles du passé. Le constat est aujourd’hui de plus en plus préoccupant. Face à cette déroute du principal pilier de l’identité créole, qu’est la culture traditionnelle. C’est à partir des repères historiques et des fondements de ces traditions et ces valeurs qu’un peuple forge son identité. L’on doit réaliser que l’organisation des spectacles « Séga tipik » ou des fêtes foraines ne favorisent pas la promotion réelle de la tradition. Il faut pour sa sauvegarde, qu’elle retrouve sa place de manière rituelle, dans le quotidien des familles créoles, qu’elles puissent vénérer cette musique symbole de leur identité. La religion Catholique peut permettre aux baptisés créoles de trouver la voie de cette vénération. L’autorité de cette institution doit faire preuve d’amour propre, pour favoriser une liturgie et une animation religieuse traditionnellement créole. Il faut des structures solides pouvant faire fonction des gardiennes de la tradition culturelle. D’autre part, La communauté créole doit solliciter de l’autorité gouvernementale, et l’apport du secteur privé, de construire un Centre Culturel Créole digne de cette épopée glorieuse qui soit surtout à la hauteur des espérances de la consolidation de l’unité nationale et de la fierté mauricienne. Il nous faut une institution culturelle qui puisse devenir un exemple des îles créolophones et peut-être même le centre mondial de la «Créolophonie » L’UNESCO ayant prit conscience de l’importance et du rôle particulier de la tradition, creuset de la diversité culturelle et garant du développement durable a, lors de son 32e session en 2003, procédée à l’élaboration de la convention pour « la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » ou le cas du « Séga Tipik » peut bien être considéré et s’offrir une chance d’être sauvée d’un génocide latent. Voir aussi La Communauté Créole de l’île Maurice prise dans le joug des pouvoirs Haïti – Culture : Unité idéologique, politique dans les écrits et dans les actions chez Jacques RoumainPrésentation de Gouverneurs de la RoséeLE VERRE DU SOUVENIRNote : Paul. E. François est mauricien et il est engagé dans la lutte pour la promotion et l’émancipation de la communauté créole à l’île Maurice, l’une des plus belles îles du monde. Il est notre nouveau collaborateur.