Par Frantz DELICE
‘’Il y a deux types d’hommes : ceux qui cherchent leur père, et ceux qui cherchent à tuer leur père.’’ Eliette Abecassis Extrait de mon pèreMarthe, une petite fille de six ans, traîne chez elle au premier lundi d’octobre. La rentrée des classes a déjà eu lieu en septembre. Sa mère aux abois, ne peut pas l’envoyer à l’école comme les enfants de son age. Marthe reste à jouer sur la cour de sa maison. Elle demande avec insistance quand elle pourra, elle aussi y aller. Sa mère, une jeune femme dans la vingtaine, sans travail, ni instruction, l’a eu d’un homme, qui lui aussi ne travaille pas, et ne se soucie même pas d’eux. Le père de Marthe n’est pas en concubinage avec seulement la mère de Marthe. Quatre autres jeunes femmes sont dans cette situation, et ne peuvent elles aussi envoyer leurs enfants à l’école. Car elles attendent toutes un peu d’argent du père de Marthe. Ce même scénario se rencontre un peu partout en Haïti. Des enfants qui ne peuvent manger à leur faim, ni fréquenter à tant les bancs de l’école. Faute de moyens économiques de leurs mères, qui sont abandonnées après la grossesse par leur ‘’homme’’. Elles se retrouvent toutes en train de quémander, de travailler dure pour subvenir aux besoins de leurs enfants et d’elles-mêmes. Pendant ce temps leur homme cherche de nouvelles victimes, de nouvelles proies. Marina, une jeune femme de vingt-cinq ans, a été abandonnée par son père qui vit aux Etats-Unis d’Amérique. Elle a dû affronter avec sa mère les pires misères. Elle ressent encore les séquelles des enfants sans père, elle en témoigne : ‘’ Pito m pat janm gen papa – Pito m pat janm konnen non nèg sa ‘’ .Pour marina, elle a eu un géniteur et non un père, car pour elle un père prend soin de ses enfants et est toujours là pour eux. Vivre sans père, savoir qu’on a été abandonné, est d’un dur cauchemar pour ses enfants qui doivent malgré eux survivre à cette situation dévalorisante. Et plus dur encore pour ces femmes qui ne savent comment répondre aux multiples interrogations de leurs progénitures. Elles sont désarmées et parfois gardent le silence sur un passé douloureux. Certaines essayent d’éviter la même erreur à leurs filles. En restant vindicatives et en ayant peurs systématiquement que leurs filles côtoient des garçons. Et ainsi la spirale de la douleur et de l’abandon se perpétue, car le plus souvent le même scénario se recommence. Avec la douleur au cœur et les larmes aux yeux, Judith retrace son parcours de jeune fille abandonnée par son père. Sa vie de jeune femme montre encore les stigmates. ‘’Comment faire confiance à un jeune homme quand on a été abandonné par le seul homme qui devrait compter dans notre univers de petite fille,‘’ s’exclame Judith fort en colère. Les témoignages de ces femmes montrent l’étendue des dégâts de l’irresponsabilité de certains hommes haïtiens. Plus de cinquante pour cent des enfants haïtiens n’ont pas de papier d’état civil, ils vivent sans reconnaissance légale de leur père. Ils portent les noms de leurs mères. Car en Haïti les enfants peuvent ne pas avoir de père mais ils ont toujours une mère. Jeanne, une femme dans la trentaine rencontrée à Delmas affirme de façon catégorique : ‘’ pitit toujou gen manman, men pa toujou kon n gen papa ‘’ et elle renchérit en ces termes : ‘’ Gason Ayisyen se kok, fanm se poul.‘’ Cela montre l’énormité du phénomène qui est la résultante de l’éducation qui se donne aux seins des familles, de l’instruction reçue sur les bancs des l’école et de l’insuffisance des mesures étatiques pour enrayer ce mal. ‘’Que faire quand on est femme, sans travail, sans instruction, avec 2, 3,5 enfants sur les bras ? Telle est la question que posent ces mères délaissées avec leurs enfants aux responsables du pays. Madame Jacques, une femme dan la soixantaine raconte son histoire dans un tap -tap faisant route pour Pétion -Ville. Elle a eu quinze enfants de plusieurs pères. C’était à elle que revenait la tache de les éduquer, de prendre soin d’eux et de veiller à leur confort et leur développement intellectuel. ‘’ Gras a Dieu, pitit mwen yo sove, se selman pi piti ya ki lekol toujou.‘’.Madame Jacques s’est ruée au travail pour les sauver. Comme elle le dit, car en fait, réellement ce sont ses enfants. La situation de toutes ses femmes dépossédées de leur avenir, de leur espoir d’un lendemain meilleur, devrait attirer l’attention des décideurs du pays. Cela demande de réfléchir à l’instruction qui se donne sur les bancs de l’école, et l’éducation au foyer, des rôles qu’on entretienne et définisse pour les sexes dans la société. Ce phénomène trouve un vibrant retentissement dans les paroles d’une des chansons de Richard Hérard dit Ritchie , en ces mots : M’ap grandi nan yon vi mwen pa chwazi – Se manman kap redi pou m pa soufri – M’ap grandi tou piti m’pot ko menm gen lespri mwen toujou ap mande manman si wap vini -Papa ,papa pouki ou pa pale ak manman’m jan nou renmen (…) – Pou kisa ou pa vle pran’m – Ho papa eske se sa’w ta vle’m fe le mwen grandi…. — Pou mwen pa kwe ho nan papa oo oo oo ‘’ . A quand une politique qui responsable les pères en Haïti ? Car comme l’a si bien écrit Antoine de Saint – Exupéry dans Terre des Hommes : « Être homme c’est précisément être responsable. (…) C’est sentir en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. ». Cela devrait faire réfléchir les pères en Haïti, les décideurs politiques, et les gens de la société civile dans l’élaboration de leur politique de reconstruction nationale. Note : Frantz DELICE est notre nouveau correspondant en Haiti. Il est écrivain et il vit à Port-au-Prince. Vous pouvez lui contacter à [email protected]