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Sunday, December 22, 2024

Leadership féminin, l’avenir de l’entreprenariat en Haïti.

Par Frantz DELICECorrespondant de CSMS MagazinePort-au-Prince—“Le moment est propice pour un leadership féminin ; l’émergence des femmes dans l’entreprenariat est là. Même certains hommes sont ouverts, sont très enclins à nous laisser la place. On commence à le faire, doucement, mais ça va venir…” tels sont les propos tenus par  madame Murielle Noisy, présidente de Noisy Marketing et du Réseau National des Femmes Haïtiennes ( RENAFHA), dans une réflexion sur l’avenir de l’entreprenariat féminin en Haïti. Ces propos s’inscrivent en droite ligne de l’importance d’un leadership féminin dans tous les secteurs de la vie nationale et surtout dans le domaine de l’entreprenariat à un moment où les autorités de l’Etat parlent de relance de la production nationale. Le leadership féminin doit être perçue comme une alternative au sous-développement et constitue l’autre artère pour accéder au changement et au développement en Haïti. L’entreprenariat féminin, la semence d’une nouvelle société plus juste …                                L’esprit entrepreneurial est caractérisé par cette volonté constante de prendre des initiatives et de s’organiser malgré les maigres moyens disponibles dans l’environnement, dans le but d’atteindre des résultats concrets. Les femmes haïtiennes ont toujours fait montre de cette volonté, de cette ténacité de dépasser leur condition, soit dans le secteur agricole, soit dans l’informel et maintenant dans l’intermédiation financière. Monsieur Guy Supplice, vice-président au sein du conseil de direction de la Unibank affirme que les femmes, actuellement, font beaucoup plus partie du management des entreprises. Selon le vice-président Guy Supplice “Dans l’entreprenariat, les femmes sont beaucoup plus représentées davantage que hier”.  Monsieur Supplice ajoute que “les femmes haïtiennes – il y a 15 à 20 ans, n’étaient pas représentées dans l’entreprenariat en Haïti. Par rapport à mon expérience, il y a beaucoup de femmes cheffes d’entreprise, qui dirigent elles-mêmes leurs propres entreprises”      Ces propos mettent en évidence une petite évolution dans la condition des femmes dans le secteur des affaires et dans l’entreprenariat. Le marché du travail lucratif et le monde des affaires commencent à être marqué par la présence des femmes qui représentent plus de 52 % de la population haïtienne.Du travail marchand  à l’entreprenariat féminin  …Les femmes n’ont pas été toujours sur le marché du travail, dans le monde des affaires et l’entreprenariat. Elles ont toujours exercé des activités, mais leurs contributions ont été souvent sous-estimées.      L’histoire du travail marchand des femmes sur la terre d’Haïti remonte à 1492, et peut être apprécier en tenant compte de  trois périodes. La première  s’inscrit dans l’époque coloniale et esclavagiste. Cette période débute à partir du seizième siècle avec la conquête et l’invasion des espagnols sous la conduite de Christophe Colomb. Elle a continué avec la traite des africaines, venues exploiter la terre et les mines aux profits des colons Espagnols et Français vers les dix-septième et dix huitième siècle.       La deuxième période coïncide avec la proclamation de l’indépendance. Cette époque est marquée par un nouvel ordre agraire qui s’étend de la première moitie du dix-neuvième siècle. Les femmes exploitent la terre, et pourvoient au soin du ménage À la fin de la deuxième moitie du dix neuvième siècle, le commerce commence à prédominer, et les femmes s’engouffreront dans ce domaine.        Le vingtième siècle est considéré comme l’ère des ségrégations et le temps des exploitations où la femme est bâillonnée et muselée, où son travail est dévalorisé.        Mireille Neptune Anglade utilise le concept de contrat des sexes pour qualifier la période de la fin du dix-huitième au vingtième siècle (1750- 1950). Selon madame Anglade, l’économie politique de notre pauvreté repose sur ce contrat tacite entre les  sexes, en ce sens  le masculin a concédé au féminin certains secteurs d’activités économiques pour lui permettre d’assumer l’élevage des enfants et la survie de la famille. De ce contrat  tacite découle l’infériorisation des femmes, son exclusion des sphères publiques et politiques, et ceci s’accentue par l’éducation.       Une irruption des femmes hors de la sphère privée, en dehors du foyer s’est opérée à la faveur de l’occupation américaine qui introduit la machine à écrire dans le pays. Ainsi beaucoup de femmes sont appelées à devenir secrétaire. La transformation des structures archaïques par l’occupant a favorisé l’émergence de nouvelles filières dites féminines. Cette période coïncide aussi avec l’obtention du droit de vote des femmes  au cours des élections de 1957. C’est ainsi qu’en dehors du foyer, les femmes commencent à prendre plus de responsabilités et de confiance dans leur capacité. Aussi à la faveur du mouvement féministe des années cinquante, elles commenceront à intégrer des secteurs dits masculins.     Dans le secteur du commerce de détail et de l’informel, et les moins lucratifs, elles sont bien présentes depuis la fin de la deuxième moitie du vingtième siècle. Mireille Neptune Anglade précise que par son travail marchand, la femme s’est affranchie de la tutelle économique de l’homme. Le décret du 11 janvier 1944 a continué cet affranchissement. Selon ce décret, la femme peut administrer la portion de son salaire non dévolue aux charges du ménage. La refonte des codes haïtiens, par le décret du 8 octobre  1982  change le statut de la femme; du statut de mineur, elle est passée comme responsable de son propre destin. Elle n’a plus besoin de l’autorisation de son mari pour ses actes, et elle peut exercer n’importe quelle profession selon son désir.      La relocalisation des femmes dans le secteur informel et des moins lucratifs, s’est accompagnée d’une déféminisation du secteur agricole qui coïncide dans les années 1950-1971 à une réduction du produit intérieur brut (PIB) pour cette même période. En 1950, le PIB était de 51,87%, il a chuté à 43,60% en 1974 ; parallèlement on  a observé une décroissance féminine active dans le secteur agricole. Ainsi, en 1950, elle était de 82,2% à 61,4% en 1971. Ces chiffres montrent que le secteur agricole reposait essentiellement sur le travail des femmes, et leur grande contribution dans la réalisation du produit intérieur brut.Une petite émergence des femmes …A l’heure actuelle, la tendance semble  être poursuivie. Selon une enquête de l’Institut de l’Enfance pour la période 1994-1995, 71,2% de femmes étaient employées dans la vente et les services ; 4,4% étaient cadres technique et de direction et 19,1 % étaient dans le secteur agricole. La dépréciation de la présence des femmes dans le  secteur agricole continue au profit du secteur des services, de la vente. Les femmes commencent également à devenir des cadres technique et de direction. Pour cette même date, 78,1 % de femmes  travaillaient  à leur propre compte  et gagnaient de l’argent. En 1999-2000, on a observé  pour les branches agriculture, industrie, commerce, service qu’il y avait 0.2 % de femmes patronnes d’entreprises ; 40,2% travaillaient à leur propre compte ou étaient indépendantes ; 7,3% étaient des salariées .Selon une enquête de l’IHSI sur les conditions de vie en Haïti en 2001 (2005), le poids des femmes sur le marché du travail est important. Les femmes représentent 51,1% de la population active urbaine, 48,6% des actifs occupés.      Madame Murielle Noisy, présidente de Noisy Marketing, analysant la situation actuelle, parle d’une petite émergence des femmes sur le marché du travail et dans l’entreprenariat. Selon madame Noisy, on observait au départ une situation de monopole car c’était la mentalité  de voir les hommes à la tête de l’entreprise privée et de l’administration publique. Madame Noisy préconise, pour combattre cette mentalité de monopole et d’exclusion, de travailler plus pour que les femmes puissent avoir une place importante  sur le marché du travail et de l’entreprenariat.     Presque absentes, il y a des années dan l’intermédiation financière, les femmes commencent à investir ce secteur. La tendance continue dans l’administration publique, ou l’on observe qu’il y a 9,1% de femmes directrices générales contre 90% d’hommes, et 12,3% de directrices techniques contre 87,7% d’hommes, 30,3 % de directrices adjointes contre  69,7% d’hommes. La présence des femmes dans les hautes fonctions de l’administration publique se fait sentir, malgré que l’appareil étatique soit dominé jusqu’ici par les hommes. Elles dépassent les hommes dans les secteurs de la santé et de l’action sociale, et se rapprochent considérablement des hommes dans le secteur de l’éducation. Le commerce de gros et détail, l’hôtellerie, la restauration, et l’artisanat sont fortement dominés par les femmes.        L’influence des femmes est marquante dans le secteur bancaire comme le secteur de la communication et de la télécommunication. De madame Gladys Coupet, Présidente-Directrice Générale de la Citibank Haïti en passant par madame Jocelyne Féthière ancienne Directrice Générale de l’ancienne Promobank, les femmes occupent des postes de décision au sein du secteur bancaire et dans le monde des affaires. Parmi les cinq vice-présidents de la Unibank, on compte trois (3) femmes, affirme monsieur Guy Supplice. Il ajoute que les femmes sont à l’honneur dans cette banque, car parmi les sept (7) assistants vice-présidents de la Unibank, six sont des femmes. Monsieur Supplice renchérit en déclarant que les femmes occupent les différents postes décisionnels dans cette banque « plus de 50% des employés sont des femmes. Par exemple, la direction de change, des opérations, du marketing, des relations internationales, du crédit, toutes ses directions sont dirigées par des femmes ». Monsieur Guy Supplice précise qu’il n’y a pas de poste réservé à un sexe précis; la Unibank fait la promotion de l’excellence et des compétences. Monsieur Supplice ajoute  quand on doit embaucher,  la première chose qu’on regarde c’est la compétence et le système bancaire est rempli de femmes qui ont des postes de responsabilité.       L’émergence continue avec des femmes de l’acabit de Mireille Mérové qui a mis sous pied la plus grande firme de comptabilité du pays. Elle s’occupe de la vérification financière et comptable de plusieurs banques et d’autres institutions importantes. Monsieur Guy Supplice la cite comme une référence et un modèle d’entrepreneure. Il ajoute qu’il y a vingt (20) ans,  c’étaient les hommes qui travaillaient et les femmes les secondaient mais maintenant, il y a beaucoup de femmes qui sont sur le marché du travail, qui font partie des conseils d’administrations de plusieurs entreprises.      Un leadership féminin dans le monde des affaires et dans l’entreprenariat  est  en train de dessiner les contours du paysage économique et financière du pays. Il faut un environnement adéquat selon madame Murielle Noisy; accompagné de campagnes de sensibilisation pour conscientiser les femmes de leur importance et du rôle qu’elles jouent comme agent économique. Madame Noisy demande plus de formation, surtout dans le domaine des affaires et de l’entreprenariat pour que les femmes puissent ficeler des projets viables. De son coté, monsieur Guy Supplice préconise  la prise de conscience pour bannir certains comportements néfastes et aussi créer plus d’emplois. Car la création d’emploi peut juguler la violence, surtout celle faite aux femmes. Il ajoute que la société doit valoriser toutes les initiatives heureuses, pas seulement celles qui viennent des femmes.Voir aussi Responsabiliser les pères en Haïti ? AGNIECE FRANCOIS : Une femme, une plume au service des nouveaux talents!Rénette DESIR : Une voix de femme sur le chemin de la gloireNote : Frantz DELICE est notre nouveau correspondant en Haiti. Il est écrivain et il vit à Port-au-Prince. Vous pouvez lui contacter à [email protected]

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