Par Frantz DELICECorrespondant de CSMS Magazine Port-au-Prince—Entouré de ses fils et filles, Mirtha Balan pratique l’art du métal découpé dans la localité de Noailles à la Croix Des Bouquets. Elle n’a rien à envier aux hommes car ses pièces sont aussi créatives et originales. Elle est la seule femme de cette localité, évoluant dans ce secteur. Elle est à l’heure actuelle l’unique exception et la seule référence. Issue d’une famille de 12 enfants, son enfance a été marquée par le bruit que faisaient le marteau et le pinçon sur les plaques de métal servant de matériaux de base du fer découpé. Mirtha Balan a été initiée dans ce domaine par ses frères Romel, Julio, Joël, Jonas Balan, tous originaires de Lakou Noailles et travaillant le fer découpé. Très tôt dans sa jeunesse, Mirtha a du se séparer des bancs de l’école. Et plus tard, à la recherche d’un métier devant lui permettre de s’occuper de ses enfants, elle s’est tournée comme beaucoup de jeunes de cette localité vers la sculpture sur métal. Elle a mis au monde cinq enfants,dont trois (3) garçons et deux (2) filles. Son entrée dans le métal découpé coïncide à son désir de travailler, de prendre soin d’elle-même, de se frayer un chemin dans la vie. Avec sa voie accueillante, elle exprime en ces termes comment elle a fait l’apprentissage de ce métier, de cet art : « c’est en regardant mes grands frères travailler, que j’ai commencé. Il a fallu que je trouve un métier pour vivre. J’ai observé et j’ai remarqué que je pouvais le faire. J’ai cherché un marteau, un burin, et j’ai commencé. Et je l’ai fait.. » Avec son marteau et son pinçon, elle s’est hissée dans la cour des grands au coté des Serge Jolumeau, Darius Gary, Gabriel Bien-Aimé. Depuis l’année 1988, Mirtha s’est investit à fond dans l’art du métal découpé. Ainsi cette activité est devenue son principal gagne pain. Elle le reconnaî : « c’est dans cet art que je fais de l’argent. C’est grâce au métal découpé que mon mari a pu voyager, partir à l’étranger, et que je puisse acheter un lopin de terre et faire l’éducation de mes enfants. » Mirtha n’exclut pas les conséquences de la pratique de cet art : « le travail du fer découpé est un travail d’homme, lorsque je travaille je suis toujours sale, parfois j’ai honte. Je suis méprisée et injuriée par les autres femmes de la zone qui veulent toujours être propres. » Les propos de Mirtha montrent les barrières à l’initiation des femmes dans l’art du métal découpé. Et cela devrait nous interpeller sur la vraie responsabilité des organisations de femmes, et surtout du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF) dans leur rôle de promotion des femmes et de la lutte contre toutes les formes de stéréotypes sexuels. Le stéréotype sexuel qui est une image préconçue, toute faite, de la femme ou de l’homme dans un cadre de référence donné est l’un des freins à l’initiation des femmes dans l’art du fer découpé à Noailles. L’heure n’est plus à claironner que la violence faite aux femmes est fonction de l’idéologie patriarcale. L’urgence du moment demande des mesures concrètes et spécifiques à l’échelle du pays et non seulement à Port-au-Prince. Et cela passe par l’éducation et la conscientisation des femmes dans tous les secteurs, de la vie nationale. Mirtha n’a pas le support du Ministère de la Culture et du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits de la Femme, qui disent promouvoir les talents culturels pour l’un et féminins pour l’autre. « Personne ne prend contact avec moi, même pas le Ministère à la Condition Féminine. J’ai pas participé à Artisanat en fête, malgré que j’ai l’habitude d’aller exposer mes œuvres à Pétion Ville, » Mirtha renchérit en dénonçant l’attitude des autres femmes qui sont prisonnières et victimes de leur socialisation. « Les autres femmes n’aiment pas travailler le fer découpé parce qu’elles ne veulent pas être sales. Lorsque je prend un tap-tap avec les drums et mes œuvres, elles me fustigent, comme si je vais les blesser et les salir. » Serge Jolumeau, considéré comme l’un des monuments encore vivants de l’art du fer découpé, rencontré le dimanche 25 novembre 2007 à Noailles, explique cette attitude en ces termes : « Le travail du fer découpé est un travail très masculin . Pour le faire nous avons besoin de beaucoup d’énergie. Il y a des femmes qui font du modelage, mais le travail du fer découpé demande beaucoup de muscles, il faut de l’énergie, de la sueur. » Mirtha est du même avis que Serge Jolumeau, et ajoute : « mes sœurs effectuent pour moi le sablage du métal, elles peuvent travailler aussi le métal, mais elles ne l’aiment pas ; en plus elles n’ont pas d’atelier. Les autres femmes ne veulent pas le faire. Les autres dames n’aiment pas apprendre ce travail, je l’enseigne surtout aux hommes. Mes deux filles ne l’aiment pas aussi mais elles peuvent le faire. Elles préparent le métal pour moi, mais elles ne l’aiment pas. » Malgré les hésitations de ces filles et des autres femmes de la localité de Noailles, et de tous les stéréotypes dont elle doit faire face chaque jour, Mirtha avoue son amour pour cet art : « Modeler et façonner le métal c’est un travail d’homme, c’est cela que j’aime faire, en plus cela ne me déforme pas en tant que femme. » Faire la promotion des femmes et de leurs droits ne doivent pas être seulement une affaire médiatique et de gros sous. Elle demande des mesures concrètes. Mirtha Balan, une femme qui doit se battre chaque jour pour assurer sa survie dans le champ de l’art, dans un secteur dominé par les hommes, n’attend qu’un coup de pouce pour persévérer et former d’autres filles et femmes dans cet art. Son vœux le plus cher, elle l’exprime en ces termes : « A ma mort, il faut qu’on mette un marteau et un pinçon à l’intérieur de mon cercueil pour que je puisse partir. » Lutter contre la violence faites aux femmes et contre les stéréotypes sexuels demandent qu’on encadre et qu’on apprenne aux femmes qu’elles peuvent faire la différence. Il est important d’encadrer des femmes courageuses comme Mirtha. Mirtha Balan est en train de tracer le chemin dans la localité de Noailles et n’attend que le support des instances concernées. A nous autres, décideurs politiques, organisations de femmes, organismes de la société civiles, bailleurs de fonds, d’emboîter le pas !Voir aussi Responsabiliser les pères en Haïti ?Note : Frantz DELICE est notre correspondant en Haiti. Il est écrivain et il vit à Port-au-Prince. Vous pouvez lui contacter à [email protected]