Par Marie-Jeannine MyrthilCSMS Magazine Staff WriterLe droit à la santé, le droit à l’éducation, et le droit au travail font parti du patrimoine culturel de la conception universelle des droits de l’ homme ratifiés par plusieurs conventions de Genève. Cependant, il est évident que l’interprétation de ces valeurs universelles souvent biaisées par les Etats occidentaux fait encore l’objet des grands débats au sein des grands forums internationaux. Ainsi, Marie-Jeannine Myrthil, étudiante en droit international et aussi notre correspondante en Europe, tente d’apporter de très importantes clarifications. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 217 de la troisième session en date du 10 décembre 1948, n’a, rappelons-le en tant que telle, aucune force juridique contraignante , elle est en réalité une résolution qui vaut recommandation. Dans l’ordre international, on a plutôt tendance à lui reconnaître une valeur coutumière. Ainsi, la CIJ a jugé dans l’affaire des otages américains à Téhéran que les pratiques dénoncées étaient « manifestement incompatibles avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ». Dans l’ordre interne, la question paraît plus difficile à appréhender. Ainsi en France, le Conseil d’Etat a considéré que « la seule publication faite au journal officiel du 9 février 1949 ne permet pas de ranger la Déclaration au nombre des textes diplomatiques qui ayant été ratifiés et publiés par une loi au terme de l’article 55 de la constitution, ont une importance supérieure aux lois » alors que plusieurs constitutions nées après la chute du mur de Berlin y font allusion.De plus, élaborée dans un contexte où les droits de l’homme étaient un sujet sensible entre les régimes marxistes et occidentaux pour les pays socialistes, les droits de l’homme étant en priorité des droits économiques et sociaux. Alors que les pays occidentaux donnaient la priorité aux droits civils et politiques, il est aisé alors de comprendre que dès son origine, la volonté de lui conférer une valeur universelle n’était pas unanime.Toutefois, les fondateurs ont voulu en faire un texte auquel toutes les nations devraient se référer. C’est ainsi que pour René Cassin, elle n’était ni « inter gouvernementale » ni même « internationale » mais bien universelle.Par ailleurs, les deux Pactes relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques et sociaux de 1966 et les deux protocoles facultatifs complétant le Pacte des droits civils et politique et ayant trait respectivement au droit de pétition individuelle et à l’abolition de la peine de mort ont formé avec cette déclaration la Charte internationale des droits de l’homme. Ceci a eu pour effet de rendre cet universalisme plus acceptable, dans la mesure où les pactes ont force obligatoire.Au vu des éléments brièvement exposés, il est légitime de prétendre que même à l’origine de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la conception universelle des droits de l’homme était toute relative. Il conviendra de ce fait non pas de rechercher une éventuelle actualité de la conception, de la philosophie universelle des droits de l’homme mais se demander quels sont les obstacles et les éléments favorables à cette conception ? Autrement dit, peut-on déclarer que l’universalité des droits de l’homme est établie, acceptée?La complexité de la question de l’universalité des droits de l’homme fait obstacle à une réponse claire et directe. Ainsi, on peut remarquer que des facteurs non négligeables mettent en cause ou menacent la conception universaliste des droits de l’homme(1), sans pour autant porter un réel préjudice à celle-ci puisqu’en réalité, elle semble être en voie d’acceptation(2)
I)UNE CONCEPTION UNIVERSELLE DES DROITS DE LHOMME CONTESTEE
Cette contestation se manifeste par une régionalisation des droits de l’homme(A) et le fait que la religion et le relativisme culturel sont évoqués pour y faire obstacle (B), d’autres éléments plus techniques représentent un danger non moins négligeable(C).A) PAR LA REGIONALISATION DES DROITS DE LHOMME Le développement des instruments régionaux des droits de l’homme a dans une certaine mesure affaibli la conception universelle des doits de l’homme.a) une mise en cause modérée ?Le régionalisme européen et américain n’est nullement hostile à la conception universelle des droits de l’homme. La Convention européenne des droits de l’homme adoptée le 4 novembre 1950, par exemple, se réfère dès le premier alinéa de son préambule à la Déclaration universelle et dans le dernier alinéa. Il est indiqué que des mesures seront prises en vue d’assurer « la garantie collective de certains droits énoncés dans la Déclaration universelle » Il n’y a aucune contradiction entre les deux textes qui semblent au contraire se compléter.Le système américain s’aligne aussi sur ce texte puisque la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969 fait référence aux idées de la Déclaration universelle. Selon H.Gros Espiell[1], en dépit des particularités du système américain, il ne s’oppose pas à la doctrine universelle.Toutefois, le fait que chacun veuille adopter ses propres textes en matière de droit de l’homme alors que des instruments universels existent peut réduire l’importance de ceux-ci. D’ailleurs derrière cette volonté d’élaborer ces propres conventions peut se cacher un réel rejet du système universel. La multiplication de ces instruments peut par ailleurs créer des contradictions ou des problèmes de conciliation avec le système universel.b) Une mise en cause sérieuseEn Asie, les groupements sous-régionaux existants affichent un désintérêt quant à l’adoption d’instruments régionaux de protection des droits de l’homme.[2] Cela résulte non d’un intérêt pour les documents internationaux mais en réalité d’une contestation de plus en plus importante de la conception universelle des droits de l’homme.Les Etats arabes quant à eux ont plus ou moins accepté la Déclaration. Ainsi lors du vote du texte, quatre d’entre eux l’ont adopté. L’Arabie saoudite s’est abstenue et le Yémen était absent. Ils ont adopté une Charte arabe des droits de l’homme en 1994 qui repose sur « les principes éternels définis par le droit musulman ».La charte africaine des droits de l’homme et des peuples indique que « les droits civils et politiques sont indissociables des droits économiques, sociaux et culturels, tant dans leur conception que dans leur universalité .» Pour autant, elle reste très attachée aux spécificités propres aux Etats africains. Celles-ci reposent sur le fait que les peuples ont des droits mais aussi des devoirs, à la place centrale accordée à la famille etc. Par ailleurs, non seulement la Déclaration universelle doit être appliquée, mais aussi les « principes généraux de droits reconnus par les nations africaines .» Cette expression prouve bien que les valeurs propres au continent africain fassent partie de leur conception des droits de l’homme.B) AU NOM DE LA RELIGION ET DU RELATIVISME CULTUREL La religion et surtout le relativisme culturel contestent de façon radicale la conception universelle des droits de l’homme.a) l’influence de la religion Le rejet de la conception universelle des droits de l’homme provient essentiellement de la religion islamique dans laquelle le droit a une origine divine. Cette philosophie du droit qui s’oppose à celle que l’on retrouve en Occident a pour conséquence selon Afshari l ‘impossibilité de rendre la Chariaâ compatible avec la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il plaide donc en faveur de la laïcité et l’application stricte de la Déclaration universelle.[3]Ballouche Néfi, reprend la même idée et estime que la déclaration islamique reconnaît un certain nombre de droits mais dans le cadre de la Chariaâ.[4]Or des principes importants comme par exemple l’égalité des sexes ne sont pas respectés par le droit islamique, pas plus que la liberté de changer de religion. Le droit étant interprété à la lumière du Coran, la conception universelle qui elle repose sur la laïcité est tout bonnement exclue. Ce droit façonné par la religion, revêt un caractère figé, nul ne pouvant l’abroger. Il en résulte une sorte de confrontation entre ces deux formes de droit et pour les Musulmans, le droit de Dieu doit l’emporter. b) le relativisme culturel La Charte africaine souligne cet aspect, et il a été abordé plus sérieusement lors de la Conférence mondiale des droits de l’homme de 1993. L’idée est que la conception des droits de l’homme doit prendre en compte les particularités culturelles des autres peuples et que la culture occidentale n’est pas la seule qui existe. Il apparaît être un outil permettant de s’opposer à la conception universelle des droits de l’homme dans n’importe quel contexte lorsque des éléments pertinents font défaut. Yacoub Joseph déclare ainsi que « l’occident a le don d’universaliser sa culture, de l’extraire de son milieu et d’en faire une grille de lecture formalisée des autres sociétés.[5] Selon lui, les droits de l’homme sont un produit philosophique, conceptuel, juridique et politique, constitutionnel et éthique de l’Occident. » On voit ressortir clairement la thèse culturaliste qui voit dans l’universalisme un moyen de dissimuler l’occidentalisme . Samuel Huntington, propose d’éviter d’insister sur l’universalisme des droits afin de ne pas offenser les autres cultures.[6]
C) L’EXISTENCE D’ELEMENTS DISPARATES NUISIBLES
Il s’agira d’énoncer brièvement des facteurs pouvant porter atteinte à l’universalité des droits de l’homme.a)Les outils à la disposition des EtatsLes Etats peuvent émettre des réserves et ainsi limiter l’effectivité, la valeur des textes ainsi que leur universalité. Le Pacte relatif aux droits civils a connu de nombreuses réserves. Le traité peut aussi faire l’objet d’interprétations restrictives et donc voir son contenu vider de son sens initial, et de sa portée universelle. Les dénonciations ne sont pas par ailleurs exclus, tel est le cas par exemple pour la convention sur le génocide.b) l’attitude des Etats face aux traités liés aux droits de l’hommeCertains Etats rechignent à accepter des mesures contraignantes et l’on remarque que plus les textes sont contraignants, plus la réticence est grande. Ainsi, il a fallu attendre neuf sans pour recueillir les trente-cinq acceptations requises pour l’entrée en vigueur des Pactes.Par ailleurs, la période entre la signature et la ratification peut-être longue. La France a mis vingt-quatre ans avant de ratifier la C.E.D.H.Malgré les difficultés rencontrées par la conception universelle des droits de l’homme, celle-ci fait l’objet de moins en moins de réticences.
II)UNE UNIVERSALITE EN VOIE D’ACCEPTATION
Cela s’explique par la nécessité de réactualiser les droits de l’homme (A)et les moyens déployés pour les rendre effectifs(B)A) LA REACTUALISATION DES DROITS DE LHOMME Celle-ci a pu se faire par lors de la Conférence de Vienne où on a pu rechercher une conciliation entre différents facteurs.a) le rôle de la Conférence de Vienne de 1993 L’objectif de cette Conférence était très clairement de « réaffirmer l’universalité des droits de l’homme » dont le Secrétaire général des Nations Unies de l’époque « faisait l’impératif premier de la Conférence .»[7] M.Boutros Boutros-Ghali a expliqué que le caractère universel est « inhérent » aux droits de l’homme et qu’il ne doit pas être compris comme « l’expression de la domination idéologique d’un groupe d’Etats sur le reste du monde », que ce système ne porte pas atteinte à la souveraineté des Etats.[8] Il a tenté de cette façon de rejeter certaines thèses opposées à l’universalité des droits de l’homme.b) la recherche d’une conciliation entre le régionalisme, le relativisme culturel et la conception universelle des droits La Déclaration adoptée le 25 juin 1993, à la Conférence de Vienne, reconnaît « l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique culturelle et religieuse. » Les droits de l’homme restent « universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. Il en résulte que la conception universelle des droits de l’homme reste de mise et même si des particularités sont reconnues, elles ne doivent pas entrer en contradiction avec celle-ci.M. Boutros Boutros-Ghali déclare ainsi que « Si les clivages idéologiques et les inégalités économiques restent la réalité de notre société internationale, ils ne sauraient constituer des entraves au caractère universel des droits de l’homme. » L’exigence de l’universalité des droits de l’homme étant réaffirmée, il convient tout de même de se demander si les Etats y adhèrent réellement.
B) LEFFECTIVITE DE LA CONCEPTION UNIVERSELLE DES DROITS DE LHOMME
Le Programme d’action établi lors de la Conférence ainsi que le développement des instruments de contrôle semblent en partie résoudre le problème de l’effectivité.a) le rôle du Programme d’actionIl a l’avantage d’être plus détaillé que la Déclaration signée à la Conférence de Vienne et offre donc d’avantages de précisions sur la marche à suivre en vue de promouvoir les droits de l’homme.Il invite les Etats à prendre des mesures en faveur de l’universalisme, par exemple formuler de moins en moins de réserves afin de ne pas dénaturer les textes.Il prône le renforcement ou la création d’organes, tel que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme par exemple. Les institutions nationales ont par ailleurs aussi le devoir de promouvoir le respect des droits de l’homme sur le plan interne.b) l’intensification des contrôlesLes contrôles visent à éviter que les Etats appliquent les normes à leur guise ou refusent de les appliquer. Ils tendent à donner une dimension universelle aux droits de l’homme. Réticents à l’origine, à l’idée que leurs comportements puissent être contrôlés. Les Etats semblent de plus en plus ouvert à ce genre d’initiative. Ces contrôles sont aussi bien internes qu’internationaux. Il existe bon nombre d’organes internationaux et régionaux qui assurent un contrôle au plan international. Les Etats doivent par exemple leur fournir des rapports périodiques. Ils peuvent en outre être saisis en cas de violation des droits humains. Les plaintes proviennent aussi bien des Etats que des particuliers. Les contrôles ne sont pas toujours efficaces et effectifs, mais la crainte qu’ils peuvent avoir lieu est un facteur dissuasif. L’existence de ces contrôles revêt dans tous les cas une importance particulière puisque par exemple, même les déclarations relatives aux droits de l’homme et qui n’ont pas de caractère obligatoire peuvent faire l’objet d’un contrôle. C’est le cas par exemple de la Déclaration universelle contrôlée par la Commission des droits de l’homme. Enfin, la Conférence de Vienne de 93 a certes permis de réaffirmer l’importance d’une conception universelle des droits de l’homme. Pour autant , cette question pose encore beaucoup de problèmes , et bon nombres de points restent à éclaircir.Mais en tout état de cause « face à l’universalité de la souffrance humaine, nous affirmons l’universalité des droits eux-mêmes.» Par ailleurs, « les droits de l’homme fondés sur la dignité inhérente à toute personne humaine sont le patrimoine de tous et sont placés sous la responsabilités de chacun ».[9]Marie-Jeannine Myrthil vit à Paris. Elle peut être contactée à mjmyrthil@csmsmagazine.org
[1] H. GROS ESPIELL, « le système interaméricain comme régime régional de protection des droits de l’homme », Recueil des Cours de l’Académie de droit international, t. 145,1975,pp. 1-55[2] H.YAMANE, « Bilan des approches pour la protection des droits de l’homme en Asie », pp.165-178, in : A. FENET et al. , Droits de l’homme, droits des peuples, Paris : P.U.F., 1982, p.242[3] AFSHARI REZA «An Essay on cultural relativism the discouses of human rights »,Haman Rights Quartely,n°2 may 1994[4] BALLOUCHE NEFI « Les droits de l’homme à travers la Déclaration des droits de l’homme de l’organisation de la Conférence islamique » Cahiers de l’Institut du droit européen et des droits de l’homme » ,n°5, 1996[5] YACOUB JOSEPH « Réécrire la Déclaration universelle des droits de l’homme », 1998[6] S.P. HUNTINGTON, « The clash of civilizations ? » ,Forein Affairs, Summer 1993, pp. 22-49[7] PAUL TAVERNIER, « LONU et l’affirmation de l’universalité des droits de l’homme »,Revue trimestrielle des droits de l’homme, n°31, juillet 1997 ,p.379-393[8] B.BOUTROS-GHALI, « Déclaration liminaire du Secrétaire général de l’O.N.U. à la conférence mondiale des droits de l’homme »(pp. 11-15 de le brochure publiée par le Département de l’Information des Nations Unies, DPI/1394-93630, sept. 1993).[9] Avis CNCDH du 10sept. 1998 sur le projet de Manifeste sur l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme.