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Thursday, March 28, 2024

Gérald Bloncourt: Le photographe des émotions humaines

Par Guy LorantQuand Gérald Bloncourt écrit pour se définir : “J’ai pris parti, je ne suis pas un marchand de photographies, je suis un franc-tireur de l’image”, il procède, pour qui le connaît à un saisissant raccourci. Né en Haïti, il avait à peine quatorze ans quand il s’est engagé pour la première fois dans l’action politique. Et quelle action ! Cinq ans plus tard, à l’issue des “Cinq glorieuses” qui secouèrent son pays et qui devaient aboutir à la chute d’un régime corrompu, il était condamné à mort par la junte contre-révolutionnaire qui allait ouvrir la voie à la dictature de Duvalier et de ses terribles tontons-macoutes. Finalement chassé de son sol natal, il arrivait en France en mai 1946.   Dès lors, il ne devait jamais faillir à l’engagement qu’il avait scellé encore adolescent. Qu’il s’agisse de ses activités professionnelles et artistiques ou de ses activités militantes, son existence allait être consacrée à la défense de ceux pour qui il n’avait pas hésité à risquer sa vie : les travailleurs – la photo elle-même ne constituant, à ses yeux, qu’un moyen de lutte parmi d’autres.   Bloncourt est avant tout le photographe des émotions humaines – plus précisément de celles qu’éprouvent ceux qui chaque jour sont conduit à produire, ceux qui chaque jour sont rejetés de la société. Le regard est à la fois attentif et incisif, l’écriture directe – pas de fioritures, pas moyens d’échapper au sujet cerné par l’objectif. Il n’a recours à son appareil que pour témoigner, donc, dans la plupart des cas, pour dénoncer.    De là, le caractère souvent tragique de ses prises de vue. Mais aussi la noblesse qui habite la majorité de ses personnages. C’est que Bloncourt a trop le respect des thèmes qu’il traite, des hommes et des femmes qu’il aborde, pour ne pas s’effacer devant eux, et que la fraternité qui le lie aux autres le conduit, partout où il passe, à traquer avec d’autant plus de ténacité qu’elles sont davantage cachées, la grandeur et la dignité qui, pour lui, sont au coeur de tout être humain.    Comme la plupart des artistes, Bloncourt est un intuitif qui sait d’instinct le geste ou l’expression qui parlent. En témoigne sa manière de véhiculer l’espoir, la révolte ou la résignation. Le plus souvent maîtrisé, presque toujours pudique, le sentiment qui transparaît ne résulte pas d’une volonté artificielle, de quelque chose de plaquée, du désir de démontrer ; il passe tout entier par l’intermédiaire d’un visage, d’une main, d’une ride, d’un sourire, d’une attitude. C’est cela Bloncourt : une façon de faire voir, de faire approcher la richesse d’un quotidien généralement dissimulé sous un flot d’apparences ; le refus d’une photographie qui serait une fin en soi ou d’une technique qui ne serait utilisée que comme un moyen d’éblouir, c’est-à-dire au fond de tricher.    L’énorme pari de Bloncourt est bien là : nous faire pénétrer par l’image dans l’univers intérieur des plus déshérités, au sein d’un environnement fait, comme ses photos de gris et de noir d’où, à condition que l’on sache regarder, peut naître une forme de beauté autrement plus puissante que le clinquant artificiel des magazines.Guy LORANT est journaliste de carrière. Il vit à Paris.

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